Rina Lasnier : Mémoire sans jours : Poésie : Littérature BQ : 1995 : 152 pages

Qu’en est-il aujourd’hui de Mémoire sans jours ? On ne lit sans doute plus ce recueil. Quant à son auteure, notre imaginaire lui aura donné son congé. La cause semble être entendue, Rina Lasnier appartiendrait au passé. Elle a chanté la gloire de Dieu, cela suffit à reléguer l’ensemble de son œuvre aux archives poussiéreuses de l’oubli.

Ce vieux livre que m’avait offert un séminariste revenu aux études, voilà que je l’ouvre enfin pour vraiment le lire. Il a été imprimé sur les presses de l’Imprimerie Saint-Joseph à Montréal et publié en 1960 par les Éditions de l’Atelier. Dans la section « Du même auteur », on nous informe que les plus récents ouvrages de la poète sont « en vente chez l’auteur ». Son adresse est la suivante, 299 sud, rue Lavaltrie, Joliette (Québec), Canada. Le livre est ancien, constitué de cahiers maintenus par de la ficelle. Mon étudiant m’avait aussi offert des numéros de la défunte revue « Gants du ciel ». Il fallait pour les lire se munir d’un coupe-papier. Dans le numéro daté de septembre 1943 figuraient des poèmes de Rina Lasnier intitulés « Poèmes à la Vierge ». On précisait dans la présentation de la revue que : « Gants du ciel n’accueillera que ce qui peut s’intégrer dans une recherche authentique d’humanisme intégral, dont la culture catholique est la plus haute expression. » Rina Lasnier appartient à cet univers. Pour certains, cela semble dépassé. Et pourtant.

Ouvrons le recueil. Nous sommes alors saisis par la foisonnante créativité dont fait montre la poète. « La Malemer », première suite du recueil, est énigmatique. Elle commence par le mot : « Je ». Il n’y a cependant rien d’intime dans ce long poème. Son lyrisme ne chante pas une émotion « personnelle ». C’est que le « moi » qui s’y exprime ne correspond pas au « moi superficiel » de Rina Lasnier, à son « moi social » anecdotique. Nous sommes plutôt en présence de son « moi profond », de ce qui en elle sonde les profondeurs de l’existence telles que les symbolisent les abysses. La poète ne figure pas au centre de son poème. Qui l’y cherche ne l’y trouvera pas ailleurs qu’en périphérie, dans une présence alors manifestée par la parole poétique. Paraphrasant l’auteure, qui parle de « pierrerie myriadaire », je dirai que telle est sa poésie. En chaque vocable réside pleinement la poète, dont le corps complet, ou si l’on préfère l’identité, se résorbe pour mieux s’accomplir dans la seule majesté de ses poèmes. Dans cette suite, ces derniers possèdent un caractère non pas hautain, mais hauturier (je reprends l’un de ses nombreux mots rares). Cette poésie est hautement musicale, faite pour le récitatif ; elle est théâtrale, déclamatoire, somptueuse par son phrasé, ses images et une cogitation quelque peu abstraite. Je m’interroge sur des passages comme ceux-ci : « voici peu sinueuse et la parité vivante », « toute la race du sang devenue plancton de mots », « la femme omniprésente dans la fabulation de la chair ». Se pourrait-il qu’ils évoquent un mal amer, une infertilité, une absence ou un refus de maternité, alors qu’il sera tenté de donner naissance à du verbe plutôt qu’à une œuvre de chair ?   

Rina Lasnier est assurément une femme savante, une intellectuelle de haut niveau. Elle embrasse au-delà des limites de sa seule personne. Elle jette ses regards sur la vastitude (Dieu et les étoiles), sans occulter l’humble petitesse (l’herbe et les lucioles). Autant sa pensée est riche, autant son savoir-faire poétique est remarquable. De la Bible, elle hérite l’ample verset, à l’œuvre également chez Claudel et Saint-John Perse. Sa prosodie ailleurs dans le recueil se fait mesurée.  Les vers tout en étant libres demeurent entièrement des vers et non des phrases aléatoirement découpées.

Les mots retentissent sur la pierre
Mais toutes les larmes élèvent la mer ;
Elles n’ont rien demandé que le silence
Et la mer n’a rien donné que la distance …

Note : Cette recension est d’abord parue dans la revue « femmes de parole », numéro 7.

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Auteur : Daniel Guénette

Né le 21 mai 1952, Daniel Guénette est originaire de Montréal. Il a vécu la majeure partie de son existence dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Après des études en lettres à l’Université de Montréal, où il obtient un diplôme de maîtrise en création littéraire, il enseigne la littérature au cégep de Granby. En 2011, il prend sa retraite après 34 années d’enseignement. À l’aube de la soixantaine, il renoue avec l’écriture qu’il avait cessé de pratiquer durant près de vingt ans. Il publie chez Triptyque deux recueils de poésie, Traité de l’Incertain en 2013 et Carmen quadratum en 2016, ainsi qu’un récit, L’École des Chiens, en 2015. Dans son œuvre antérieure alternaient ouvrages de poésie (3 titres au Noroît, 2 chez Triptyque) et productions romanesques (3 titres chez Triptyque). Ces ouvrages furent publiés entre 1985 et 1996. L’ensemble fut bien reçu par la critique. À l’occasion du vingtième anniversaire des éditions Triptyque, feu Réginald Martel écrivait : « Et on soupçonne que bien des éditeurs seraient ravis d’inscrire à leur catalogue, parmi quelques auteurs de Triptyque, le nom d’un Daniel Guénette, par exemple. » J. Desraspes a enchanté Jean-Roch Boivin : « Ce roman est un délicieux apéritif, robuste et délicat, son auteur un écrivain de talent et de grands moyens. » Réginald Martel parle d’un roman « qu’on dévore sans reprendre son souffle » ; il salue également la parution des romans qui suivent, se montrant surtout favorable à L’écharpe d’Iris. Pierre Salducci écrit dans Le Devoir un article élogieux sur ce roman : « L’écharpe d’Iris est une réussite, une petite musique qui nous parle de la nature humaine et qu’on n’arrive pas à oublier. Un roman magnifique, un vrai. Pas un phénomène de mode. Pas un produit branché et périssable. Mais de la littérature. Tout simplement. » L’École des Chiens, qui en 2015 marque le retour de l’auteur au récit, a été commentée par divers blogueurs, dont le poète Jacques Gauthier : « Ce beau récit du poète Daniel Guénette évoque, avec pudeur et humilité, les onze années vécues auprès de Max qu’il a dû faire euthanasier à cause d’un cancer. Ils sont rares de tels livres qui traitent si tendrement de la relation entre un homme et son animal de compagnie. Ça parle de vie et de mort, d’attachement et d’amitié, d’enfance et de solitude. » Pour sa part, Topinambulle écrit : « Dans ce très beau récit, un homme apprivoise doucement le deuil de son chien. À la manière de Rousseau, Daniel Guénette nous invite à le suivre dans ses promenades, dans les méandres de ses souvenirs, où l'évocation de l'ami fidèle nous servira de guide. ». Dominic Tardif, dans Le Devoir, 4 juillet 2015 a rendu compte chaleureusement de L’école des chiens. Il a souligné qu’avec ce récit, l’auteur avait produit « de la vraie littérature » : « Plus qu’un livre sur un maître et son animal, L’école des chiens célèbre le pouvoir de l’écriture qui, chez Daniel Guénette, n’aspire pas à remplacer l’en allé, mais bien à en continuer la vie. » Recommandé avec enthousiasme à ses téléspectateurs, L’école des chiens a fait l’objet d’un échange de cadeaux à l’émission LIRE présentée sur ARTV. À partir de 1975, l’auteur a collaboré à diverses revues de littérature à titre de poète et de critique. On a pu lire ses recensions dans la revue Mœbius. Pour l’une d’elles, l’auteur a été finaliste au Prix d’excellence de la SODEP 2016, dans la catégorie Texte d’opinion critique sur une œuvre littéraire ou artistique. Plus récemment, l’auteur a publié deux nouveaux titres en poésie, Varia au Noroît en 2018 et, à l’hiver 2023, La châtaigneraie aux Éditions de la Grenouillère. Pour ce recueil, le poète a été finaliste au Prix d’excellence du webmagazine La Métropole. Dans la recension que réserve à cet ouvrage la revue LQ, le critique Antoine Boisclair écrit: « Ce recueil émouvant, très maîtrisé du point de vue formel, témoigne d’un savoir-faire indéniable. » Le critique et poète français Pierre Perrin écrit dans sa revue trimestrielle de littérature, la revue française « Possibles », ne pas confondre avec la revue québécoise du même nom : « Daniel Guénette a le vers sûr, souvent proche de l’alexandrin, parfois très bref. Il sait restituer une vie, avec sa foudre, ses éclairs, et les moments de calme, voire de communion. La Châtaigneraie constitue un beau recueil presque filial. » Pour sa part, dans Le Ou'tam’si magazine, Nathasha Pemba déclare que « La châtaigneraie est un recueil de poésie qui a l’allure d’un hommage, d’un renouvellement du contrat amical. C’est une poésie ontologique qui va au fond des choses pour faire émerger l’être. Daniel Guénette une fois plus confirme qu’il est poète, le poète de l’amitié, le poète de l’altérité, le poète de l’éternité. » Outre ces recueils de poésie, l’auteur fait paraître quelques nouveaux romans. De Miron, Breton et le mythomane, paru en 2017 à La Grenouillère, Dominic Tardif écrit dans Le Devoir : « Chronique des glorioles imaginaires d’un grand taquin aimant (se) conter des histoires et fabuler une légendaire vie d’aventures, Miron, Breton et le mythomane est le carton d’invitation d’une fête organisée en l’honneur du mensonge auquel s’abreuve n’importe quelle forme de littérature digne de ce nom. » Pour sa part, Dédé blanc-bec reçoit dans Nuit Blanche un commentaire signé Gaétan Bélanger : « Le ton poétique empreint d’humour et de nostalgie adopté par l’auteur rend extrêmement agréable la lecture de ce roman émouvant. Il faut préciser que, tout d’abord, il est un peu déroutant de suivre les bonds fréquents de la narration dans le temps. Plus que de simples digressions, elles donnent parfois l’impression que l’auteur saute du coq à l’âne pour revenir aux mêmes événements, observés sous un angle différent. Mais on s’habitue vite à cette manière ou à ce style et on l’apprécie pour son originalité. Voilà donc un roman au texte minutieusement poli et se démarquant par sa qualité et son audace. » Vierge folle est le dernier roman de l’auteur. La recension parue dans Culture Hebdo se termine avec ces mots : « Nous vous laissons le soin de découvrir la conclusion. Excellent, est un euphémisme. On a adoré. » Ce roman, sans doute le meilleur de l’auteur, s’il a suscité l’enthousiasme de ses lecteurs n’a guère fait l’objet de recensions sérieuses. Pour des recensions sérieuses, il aura fallu attendre l’hiver 2023. Au billet d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie, se sera ajoutée dans Le Devoir une chronique de Louis Cornellier consacrée non pas à un roman ou un recueil, mais à un essai. Le journaliste y salue d’abord le travail entrepris par l’écrivain sur son blogue : « Fin lecteur de poésie, l’écrivain s’y impose comme un critique raffiné, érudit et amical dont le style, limpide et élégant, s’apparente à celui de la conversation relevée. Ces qualités en font une rareté dans le paysage littéraire québécois. » Puis, il rend compte de l’essai : « Dans Le complexe d’Orphée (Nota bene, 2023, 186 pages), l’écrivain se fait plus essayiste que critique en proposant « une manière de promenade » dans laquelle il tente « de saisir la nature de la poésie ». Fidèle à son approche modeste et exploratoire, il déambule en compagnie des poètes et penseurs qu’il aime afin de délimiter son objet, tout en cultivant le souci de ne pas l’enfermer. » Il conclut sa chronique en ces termes : « Partisan des « poèmes limpides » qui disent de « simples vérités », Guénette trouve dans la poésie un antidote « à l’endormissement de [ses] facultés » ou, comme l’écrit Valéry, un discours « chargé de plus de sens, et mêlé de plus de musique, que le langage ordinaire n’en porte et n’en peut porter ». Fénelon aurait aimé ce livre admirable. » La conclusion de l’article d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie était elle aussi plutôt réjouissante : « Romancier accompli (son dernier récit, Vierge folle, est paru en 2021 aux éditions de La Grenouillère), critique littéraire important (son blogue, intitulé Dédé blanc-bec, offre des comptes rendus très étoffés sur des publications québécoises), Daniel Guénette est aussi un poète qui mérite toute notre attention. »

6 réflexions sur « Rina Lasnier : Mémoire sans jours : Poésie : Littérature BQ : 1995 : 152 pages »

  1. Il m’a été offert : »L’Ombre jetée » tome 1 et 2 de Rina Lasnier aux éditions des Forges, j’en ai également entrepris la lecture cet été.
    Merci Daniel de nous rappeler à cette immense poétesse dont l’écriture surprenante est empreinte de beauté et de mysticisme.

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  2. J’aime ton audace et ta capacité à défier les diktats du dernier siècle.

    La Poésie survole les guerres de religion, elle est assez spirituelle pour ça…

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