Le petit bestiaire à la main, je traverse le corridor menant à mon cabinet de travail. Je croise ma compagne, à qui décidément jamais rien n’échappe. Elle me demande ce que j’ai. Je lui réponds que je n’ai rien. Elle trouve que j’ai l’air triste. — Non, non, tout va bien.
Évidemment, je mens. Mais d’où me vient ce léger chagrin que j’éprouve ? Il remonte, je crois bien, à ma petite enfance. En lisant le recueil de Michel Pleau, celle-ci me revient tout doucement. Je suis ému. Heureux comme je le fus récemment, alors qu’on nous confiait pour quelques heures la garde d’une aimable fillette. Après des jeux innocents, courses folles dans la maison, cache-cache, animation de figurines et casse-tête, j’eus l’idée pour une pause bien méritée de lui faire entendre un peu de musique. À vrai dire des chansons de circonstances : Gentil coquelicot, Au chant de l’alouette, Isabeau s’y promène et La poulette grise, celle qui a pondu dans l’église et à qui le poète fait justement une petite place dans son recueil.
À l’écoute de ces chansons, la petite tout contre moi, je songeais qu’il entre dans cette poésie plus de poésie que sans doute j’aurai pu en mettre dans tous les poèmes que j’ai écrits depuis plus d’un demi-siècle. Ces chants innocents tout discrètement disent de profondes vérités. Il en va de même avec les poèmes de ce Petit bestiaire.
Je tiens ce livre en très haute estime. Je pourrais ressentir à l’endroit de son auteur une tendre jalousie tant son ouvrage est remarquable. Mais à sa lecture, c’est un tout autre sentiment qui m’habite. Celui d’une calme plénitude, faite d’émerveillement, car chacun de ses poèmes en effet distille du merveilleux, nous ramène aux sources les plus tranquilles, les plus aimantes du langage.
La limpidité de la poésie est chose qui avec le temps parvient à se renouveler, pour peu que les poètes consentent à se défaire des oripeaux dont ils drapent parfois leurs discours, effets de toges, énigmes contournées, poudre aux yeux, afféteries diverses, poses, voire impostures … Mais n’accusons pas ici des absents, la présence de Pleau nous comble tout autrement et je tiens à dire ici tout simplement pourquoi j’aime ses poèmes.
À vrai dire, je ne sais trop comment m’y prendre. Me voici désarmé. C’est que pour les apprécier, pour les comprendre, je ne dois fournir aucun pénible effort. Point n’est besoin de les étudier, de les décortiquer, de les analyser. Ils s’offrent à nous, pourrait-on dire, dans une relative nudité. Ils sont comparables à l’œuf que pond la poulette grise dans l’église. Je me contente de les lire et de les savourer, tout comme enfant je savourais le p’tit coco que la poulette noire avait pondu dans l’armoire.
Qu’on me comprenne bien, la simplicité d’un texte à elle seule n’est pas garante de l’intérêt qu’on lui porte. Il est des œuvres obscures quasi impénétrables qui regorgent d’invisibles beautés, de forces vives et de lumières. La lecture appliquée dégage celles-ci de l’enchevêtrement formel qui menace de les étouffer. Cet enchevêtrement n’est pas non plus toujours étranger aux plaisirs que peut susciter tout autant ou presque le texte hermétiquement clos sur lui-même. Certes, un plus simple appareil offre moins de fil à retordre. Le lecteur en use avec aisance.
La clarté de l’expression dont il se réjouit résulte-t-elle d’un surcroît de labeur chez l’auteur ? Je ne sais pas. J’ignore quelle somme de travail un poète doit fournir afin d’obtenir une relative transparence, j’ignore même s’il s’agit-là vraiment d’un travail plutôt que d’une grâce, à tout le moins d’un état de grâce que tous malheureusement ne peuvent pas connaître. Michel Pleau connaît cette grâce et en répand le pollen pour ne pas dire le bonheur tout autour de lui.
Les chansons qui ont traversé les siècles et que nous fredonnons encore, dont nous conservons en mémoire les paroles toutes simples, sont de véritables trésors. Nous nous baignerons toujours à la claire fontaine et nous sourirons encore lorsqu’au clair de la lune, la porte se refermera sur l’ami de Pierrot et sur sa voisine. L’enfant dans les paroles de cette chanson ne voit que du feu, mais en l’écoutant des années plus tard, une toute petite fille sur ses genoux, il réalise que la recherche d’une plume permet de décrocher la lune. Un charme similaire opère dans les poèmes du Petit bestiaire. Ils regorgent de merveilles. Ils accomplissent une sorte de doux miracle. Je l’ai évoqué ci-haut. Il est relatif à un temps retrouvé, dont ces poèmes libèrent les effluves. Miracle ou charme, peu importe, dès que l’on ouvre ce petit recueil il produit sur nous ses effets, non pas de café fort, mais plutôt d’agréable tisane. D’abord nous sentons que le poète veille à bien nous accueillir au sein de son discours. Le ton des tout premiers vers nous dispose en leur faveur. De leur simplicité émane immédiatement une certaine bonhomie. Ce livre, l’auteur nous le confie dans un poème faisant office d’avant-propos, contient « le bestiaire tout simple / d’un vieil enfant / encore affamé de lumière ».
J’ai déjà dit un mot sur la belle simplicité de ce recueil, aussi sur le temps retrouvé de l’enfance qu’il parvient à mettre en place, mais cette lumière que poursuit le poète, je ne l’avais pas encore abordée. J’y reviendrai sans doute, mais pour l’heure, elle me rappelle qu’il faut impérativement souligner un aspect fort important de l’ouvrage, et qui contribue à en faire un objet encore plus précieux. Il s’agit des illustrations de Lyne Richard. L’illustratrice, qui par ailleurs est écrivaine, a réalisé des œuvres qui accompagnent admirablement bien les poèmes de Michel Pleau. À la merveille poétique s’ajoute le merveilleux des images de l’artiste. Leur lumière explose de couleurs. La fantaisie de Lyne Richard épouse à la perfection celle que manifeste le poète dans ses vers. Le mot de perfection n’a rien d’exagéré ni pour l’une ni pour l’autre.
Pleau est un véritable artisan. Il faut avoir du métier pour produire une orfèvrerie de paroles aussi dépouillée. Je n’entrerai pas dans les détails, mais force est de constater que la métrique de ses poèmes est impeccable, qu’ils sont tous très justes sur le plan de la musicalité. Par ailleurs, le poète varie les tours de la syntaxe, dont l’élégance est toute mesurée, sobre tout autant que l’ensemble du recueil. Il va sans dire qu’aucune image outrancière ne défigure ici le discours, que le poète dont l’imagination est cependant fertile évite les comparaisons et les métaphores tirées par les cheveux. Cela dit, ce ne sont pas les défauts dans lesquels ne tombe pas le poète qui par leur absence font la qualité de son travail. Ses qualités sont au contraire positives, elles sont présentes et en grand nombre en tant que qualités. J’aimerais tenter de les recenser. Mais une anecdote pourrait m’en dispenser. La voici.
Je m’étais rendu à la librairie afin de me procurer quelques livres, dont évidemment celui-ci. Sitôt revenu à la maison, je me mis à lire Le petit bestiaire. Or voilà que je le lisais très rapidement, trop rapidement, non sans cependant être conscient des beautés que je survolais, gagné par le désir de vite découvrir les suivantes. Cette dévoration intempestive de pièces qui somme toute devaient plutôt, afin d’être dégustées, se lire lentement, s’accordait difficilement à la nature de l’ouvrage que je découvrais.
Ainsi l’ai-je lu tout d’une traite, en un rien de temps. On pourrait croire que j’étais passé à côté de l’essentiel. Tout de même, la chose sur moi avait fait un certain effet. Elle avait déposé en mon âme une tristesse toute légère, comparable à celle que produisent l’écoute de certaines pièces de Schubert ou encore les petites chansons éternelles de notre enfance.
Cette lecture rapide ne m’avait pas empêché de prendre la mesure de la valeur de ce que venais de lire. À la nuit tombée, je revins à mon Petit bestiaire. Je dis « mon » — on aura compris que c’est parce que je perçois en lui la présence d’un ami. J’entrepris alors une relecture, propre davantage au recueillement. Je savourai l’œuvre à nouveau, y découvrant çà et là des subtilités de sens et d’inventivité que je n’avais d’abord qu’entrevues.
Son poème d’ouverture mis à part, l’ouvrage contient vingt poèmes. À l’exception de l’un d’eux courant sur trois pages, tous les poèmes tiennent sur deux petites pages. Les poèmes comptent en moyenne une vingtaine de vers. Tout cela pour dire que le recueil, qu’il convient de lire évidemment le plus lentement possible, se lit tout de même en moins d’une quarantaine de minutes. Sa brièveté est un facteur ajoutant au désir que l’on aura de bientôt en reprendre la lecture. Je ne m’en suis pas privé par après, optant alors pour une lecture à haute voix. Le charme en fut amplement renouvelé.
Âgés respectivement de douze et quatorze ans, mes petits-enfants nous rendirent visite le jour suivant. Je leur présentai quelques pièces de l’ouvrage. Ils aimèrent tout particulièrement les poèmes portant sur l’araignée, le chien et le cochon. Si des enfants apprécient ces poèmes, est-ce à dire que des adultes n’y verront aucun intérêt ? Je pose la question pour m’empresser d’y répondre par la négative. Pour emprunter à ce que disait Milou à propos d’une célèbre bande dessinée, ces poèmes s’adressent aux 7 à 77 ans.
Bon! Ces anecdotes témoignent indirectement de la qualité des poèmes de Pleau; elles ne fournissent à leur sujet qu’un éclairage médiocre. On se demandera encore pourquoi je les aime autant.
Eh bien, voici.
Je les aime en raison de leur humanité. Oui, ce bestiaire, un peu comme chez La Fontaine dont les fables mettaient en scène des animaux, nous rappelle à notre humanité, non que l’auteur se plaise à nous y faire la morale, mais bien parce que dans les portraits qu’il présente de la faune qu’il recense, surgissent çà et là des sentiments humains, des évocations de la vie, de la sienne entre autres et donc de la nôtre.
Je les aime aussi en raison de la fantaisie qu’on y voit à l’œuvre. Cette fantaisie va de pair avec l’imagination propre aux enfants et, bien entendu, aux poètes. C’est une fantaisie qui leur parle, mais dont les échos retentissent puissamment chez ceux qui tout comme l’auteur sont encore de vieux enfants. Le poème intitulé « l’ourson » fournit un excellent exemple de cette fantaisie.
il y a des nuits /d’anciennes larmes // je me souviens /dans mes mains de trois pommes / je m’agrippais à l’ourson / qui savait mieux que moi / la longue éternité des secrets // il n’avait peur de rien / ni de la foudre ni de la mort / il savait l’écoute des petits mots // moi j’apprenais à parler tout bas / à pencher ma voix / de son côté du monde // tout ce que je disais / il en recueillait doucement le miel / tel un poète / au grand cœur de peluche // il paraît qu’un ourson n’oublie jamais / notre visage d’enfant
Enfin, j’aime ces poèmes parce que, s’ils sont savoureux et souriants, certains sont aussi émouvants. Les derniers vers de « l’ourson » me touchent. Ils contribuent à produire en moi une douce tristesse mâtinée de joie.
La tradition du bestiaire remonte pourrait-on dire à la nuit des temps, Pleau la réactualise. Il a écrit avec son bestiaire des poèmes qui, mine de rien, sont parfois profonds, toujours tendres et amusants.
Ce recueil est si beau qu’en le lisant je n’ai pas osé l’annoter. Quand je l’ouvrirai à nouveau, il sera encore tout neuf, frais comme le p’tit coco que la poulette brune a pondu dans la lune.
Bon voilà … Un autre livre à commander. J’adore votre façon de le décrire et c’est tout à fait ce dont j’ai besoin présentement. Un livre qui fait sourire. Merci Daniel
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Merci Élise de prendre le temps de lire mes billets. Vous allez adorer ce livre. J’en suis convaincu.
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J’en suis certaine. Merci Daniel
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Je vous lis, Daniel, et je pense à Schubert que j’aime tant. Quand je l’écoute, les mots « simple, lumineux, dense » me viennent souvent à l’esprit (« dense » comme dans beau végétal).
Merci pour votre billet.
Ce recueil est sur ma liste de lectures à venir. Je pense le trouvé « dense » et beau aussi comme vous!
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Beau comme je le trouve beau ou beau comme moi ? Je blague. Merci chère amie pour votre présence.
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🤣🙃
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Je pense le TROUVER « dense » et beau, comme vous aussi!
(Navrée pour l’auto-correcteur trop con).
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Faire une fote, ce n’est jamais trop grave. La corriger, c’est bien.
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Comment ne pas avoir envie de lire cette oeuvre après ta «petite étude» qui éblouit en en faisant ressortir la beauté, la simplicité, l’inventivité et la capacité de nous connecter si agréablement avec le merveilleux de notre enfance? Le coco de la poulette verte conduira à la découverte!
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En effet, Laurent, un très beau livre. Textes et images. Le tout est très agréable.
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