
Il y a un an, paraissait chez le même éditeur Et si le bonheur ne tenait qu’à un fil, un collectif réunissant les suites de trois autrices. En 2022, deux d’entre elles, mesdames Dominique Brochu et Rose-Aimée Bédard, avaient remporter les honneurs du Prix Piché accordé conjointement par l’Université du Québec à Trois-Rivières et le Festival international de poésie de cette même ville. Dominique Brochu avait reçu le premier prix ; Rose-Aimée Bédard, le deuxième.
En 2023, Marie-Josée Ayotte en était cette fois la récipiendaire. Avec ce collectif paru à la Grenouillère, elle et les deux autres écrivaines en étaient à une première publication. La suite de Marie-Josée Ayotte s’intitulait Il semble que tout cède au vent noir. On retrouve cette suite dans Peut-être suis-je un peu à l’écart. S’agit-il dans ce cas des mêmes poèmes et, si oui, sont-ils repris à l’identique ? Je me garderai bien pour l’instant de céder à la tentation de feuilleter les pages de l’ouvrage collectif. Je procéderai plus tard à une telle vérification. C’est que j’y trouverais des annotations qui risqueraient d’influer sur ce que je m’apprête à découvrir. De même, j’évite de lire la recension que j’avais consacrée à ce même collectif, afin de plonger sans a priori dans les poèmes de Marie-Josée Ayotte.
Peut-être suis-je un peu à l’écart regroupe quatre suites de poèmes. La première, « Les pas si lents de l’amour » a remporté le prix Pierre-Chatillon en 2023. La seconde, « Balafres de l’ombre » a fait en 2021 l’objet d’une publication dans la revue Exit. J’ai mentionné le titre de la troisième suite, celle qui a été publiée dans le recueil collectif. La quatrième et dernière suite est la seule qui soit à proprement parler inédite. Il s’agit de J’habite la maison du crime.
Notons pour commencer que ces quatre parties sont de longueurs inégales. La première court sur une dizaine de pages. La seconde n’en occupe pas davantage. La troisième partie du recueil est, avec la toute dernière, celle qui occupe le plus d’espace. Il semble que tout cède au vent noir contient environ trente pages, tandis que J’habite la maison du crime compte une vingtaine de pages. À vrai dire, rien de cela n’importe, la poésie n’étant pas une affaire de chiffres, de nombre de pages. Toutefois, une fois faites, ces observations laissent le champ libre à d’autres observations, plus importantes, comme celle relative à la concision des poèmes. Je dis concision, mais n’allons pas penser que la poète privilégie une forme ramassée sur elle-même comme on en voit dans les haïkus. On ne rencontre pas çà et là dans ses poèmes d’espaces mentalement vides suscités par l’ellipse ou le silence. Seulement, le lyrisme ici n’entraîne aucune forme de logorrhée. Nulle part le verbe n’ambitionne d’escalader les plus hauts sommets de l’emportement ou du délire. Pas de démesure, mais bien au contraire un sens tout à fait maîtrisé de la mesure. De même, pas d’images outrancières ou tirées par les cheveux. Ce qu’écrit Marie-Josée Ayotte ne met pas à l’épreuve de façon trop ardue la recherche des significations à laquelle, désireux de comprendre, s’adonne tout lecteur. Bien entendu, l’entreprise poétique ici comme ailleurs implique une part de non-dit, de suggestion, de vague imprécision. Il n’a pas fallu sur ce point attendre Verlaine pour apprendre qu’il n’est « Rien de plus cher que la chanson grise / Où l’Indécis au Précis se joint. » Marie-Josée Ayotte a enseigné la littérature au collégial durant plus de trente ans, elle connaît la « science » de poème, son « alchimie », sa part d’illuminations. Ce qu’elle nous offre ici allie par conséquent « l’Indécis au Précis », si bien qu’après l’avoir lu, nul ne refermera cet ouvrage en se demandant ce à quoi il peut bien rimer. L’essentiel ne lui aura pas échappé.
C’est en femme de lettres que la poète écrit ce que nous avons sous les yeux. Elle a sa vie durant beaucoup lu. Pour chacun de ses pas, sans forcément les suivre, ceux de ses prédécesseurs, hommes et femmes poètes, écrivains, écrivaines lui tiennent lieu de guide ou d’anges gardiens, sources d’inspiration, déclencheurs de poésie, l’autorisant à se lancer dans la mêlée, à risquer parmi les leurs ses propres paroles.
Quelque chose longtemps l’a retenue. D’écrire ? Si c’était seulement cela. Non, un passé l’a plutôt empêchée de vivre. Mais les ailes de la poésie semblent avoir partie liée avec un fort mouvement de libération qui progressivement, au fil du temps, en est venu à l’animer, à lui faire retrouver une âme que dans l’enfance elle avait été contrainte à étouffer. Ou plutôt, c’est la vie, entendons les relations que tout un chacun, chacune, entretient avec autrui, lesquels et lesquelles « autres » mettent des bâtons dans les roues de leurs proches ou s’en servent pour les rouer de coups, au propre ou au figuré. On aura compris qu’il y a de la souffrance dans les poèmes de ce recueil.
Cette souffrance se manifeste dès l’ouverture, dès le premier vers du premier poème : « mon corps s’écrit à l’encre rouge » ; cette couleur, celle du sang, est la couleur de la correction. Les copies des élèves, c’est avec l’encre rouge de la sévérité qu’on en souligne les fautes et les maladresses. Il est question dans ce même poème de « retouches ». Ce corps, cette personne fait défaut. Après une nuit de sommeil consacrée à « écrire la nuit / quelques retouches » le « je » se réveille avec des « peurs plein les paumes ». Les premiers poèmes évoqueront la souffrance des « chagrins gardés au cachot », mais ils manifesteront aussi une soif intense « pour tout ce qu’il nous reste à boire / des chemins cuivrés de soleil ». Une ouverture, un élargissement sont ici appelés.
jamais assez loin assez haut
à grands pas dans l’infini
je respire de l’horizon neuf
un ciel clair dans ma chair
Avec ces vers, nous n’en sommes qu’au tout début du recueil. La victoire est-elle pour autant assurée ? Les chagrins liés, peut-on croire, à la « présence silencieuse des disparus / fossilisée dans nos os » sont-ils désormais chose du passé ? Non, pas vraiment. Les derniers vers de cette première suite affirment que « le drame de la pierre / n’est jamais achevé ». S’agit-il ici du drame de la pierre tombale ? On pourrait le croire. Certains disparus sont de véritables revenants. Ils ont martyrisé avec un fer rouge qui met beaucoup de temps à tiédir. La seconde suite en prenant le relais indique par son titre, « Balafres de l’ombre », que dans l’en dessous sévissent encore les blessures.
Aucun écrivain, aucune écrivaine n’étaient conviés dans la première suite. Ils le seront de manière assez marquée dans le reste du recueil, notamment dans cette nouvelle suite. L’exergue signé Hélène Dorion ouvre le bal : « Et si j’écrivais l’arbre des mémoires / entendrais-tu ces voix proches qui te racontent ». Marie-Josée Ayotte dialogue avec les écrivains dont elle se nourrit. Elle entame avec eux une manière de dialogue, à tout le moins prend son envol poétique en faisant écho à leurs propos. Le poème qui suit l’exergue débute lui aussi par « et si j’écrivais ». Cela est un détail, soit. Il est tout de même révélateur. De quoi ? Je dirais qu’il révèle des présences, des accompagnements. Notre poète s’accomplit au sein d’une communauté, elle participe d’un élan collectif. Mais ce qu’elle entreprend est surtout éminemment personnel. C’est de sa quête qu’il s’agit ici.
Son projet est magnifiquement exprimé dans la première strophe du poème.
et si j’écrivais ce nouveau silence
comme un changement d’adresse
à l’autre bout du monde
la maison sortie de nulle part
d’un fleuve, de la peur de périr
ou peut-être d’un vieux rêve
On me dira que ces vers n’ont rien d’exceptionnel. C’est qu’on n’a pas encore pris connaissance de l’entièreté du recueil. Une vue d’ensemble permet de voir la « pertinence » de cette strophe. Ils révèlent tout un pan de la démarche de la « narratrice ». Je dis « narratrice », mais c’est une façon de dire. On sent bien que chez Marie-Josée Ayotte le « je » de l’écriture ne ment pas, ne crée pas de défigurations dans l’image que lui renvoie le miroir poétique. Cette poète ne pratique pas une poésie détachée d’elle-même, ce qui ne veut en rien dire que son écriture est nombriliste, bien au contraire. On se souviendra du mot de Feuerbach, je le cite de mémoire au risque de le déformer, mais il est court et je crois le citer correctement : « Faire et en faisant se faire ». Comme chez tant d’autres poètes, mais peut-il en être autrement si l’on est réellement poète ? Marie-Josée Ayotte se construit en écrivant, se fait et se défait au moyen de l’écriture. Le « changement d’adresse », ce qui la conduit « à l’autre bout du monde » exprime la volonté de se transformer en se défaisant, puis en se reconstruisant, d’où cette maison à quoi elle aspire, une nouvelle maison, inédite, maison à fabriquer au moyen, entre autres, de la poésie qui permet de l’imaginer dans un certain avenir, là, au loin. Sortie de nulle part ? Sans doute pas tout à fait, car construite par la poète elle-même, émanant d’un « vieux rêve ». Or rien n’est aussi vieux que ce qui naît aux sources premières de l’enfance.
À cette « maison sortie de nulle part », la poète reviendra en maintes occasions, notamment dans la troisième section, car il y a en fait deux maisons. La première est revue et corrigée avec l’encre rouge des poèmes. Elle est corrigée au point d’être effacée, du moins partiellement, car ne l’oublions pas « le drame de la pierre / n’est jamais achevé ». La première maison de pierres est pour ainsi dire déconstruite. À sa place sera érigée la nouvelle maison, celle qui sortira justement du « vieux rêve ». Faire et en faisant se faire, c’est aussi se défaire de ce qui encombre la mémoire et nous retient dans les rets du passé. Pour l’heure, cette femme est « sans corps ni maison ». C’est la réponse qu’elle donne à la question que pose Louise Dupré en exergue d’un poème suivant : « Et qui serais-je si je pouvais / échapper à mon destin ? » Et le début d’enchaîner avec cette réponse : « une femme / sans corps ni maison ». Puis, de renvoyer aux œuvres de Baudelaire et de Rimbaud, de renvoyer à une pensée d’Alberto Manguel et surtout d’évoquer Élisabeth d’Aulnières, l’héroïne de Kamouraska, le roman d’Anne Hébert : « entends-tu le mot amour / dans Kamouraska / le mot amour que je te donne / une vie au galop dans la neige folle ». Le mot amour, oui, mais elle ajoute le mot liberté. C’est écrit en toutes lettres. Et ce mot dit précisément le projet de la poète : « avec Élisabeth d’Aulnières / répéter le mot amour le mot liberté / dans l’ombre / sans mourir de désespoir // et retrouver Kamouraska ». C’est avec ces vers que se termine la deuxième section du recueil.
Arrive la partie centrale de l’œuvre, celle qui fit l’objet d’une première publication en 2023. Elle a été préparée par ce qui se trouve en amont. On a vu déjà en quoi consiste le projet. On a compris que le passé pèse comme une chape de plomb. On a saisi qu’Élisabeth d’Aulnières est en quelque sorte la figure emblématique, le porte-étendard du mouvement de libération dans lequel s’est engagée la poète. Qui dit « libération » dit « combat ». Ce mot apparaît dans le premier poème. Celui-ci se termine par ce curieux constat, je dis curieux en raison de « ce qui tremble sous la terre », ces morts qui sont incapables de se retourner dans leur cercueil : « comme tout ce qui tremble sous la terre / je ne peux plus faire demi-tour ». Je force sans doute ces vers en les interprétant ainsi, mais j’ose croire que dans la psyché de qui s’en libère les morts gagnent en impuissance, se voyant paralysés lorsque leur descendance se libère enfin des liens qu’ils lui ont imposés.
La richesse, entendons la profondeur, des poèmes regroupés dans Il semble que tout cède au vent noir est remarquable. Quelque chose de trouble s’y raconte sous un voile de mots recouvrant sa part de mystère. Le poème ne dévoile pas tout. Il y a des balafres de l’ombre qui demeurent sous le boisseau. La poète qui à quelques reprises parle du « ventre de l’âme » évoque « un flot de secrets inavouables ». Rien ne sert de forcer son silence. Toutefois, dans le poème, quelque chose se dit sans se dire tout à fait, se dit sous le couvert des mots :
derrière une porte close
les regards se détournent
des cadavres
rien ne dit si le corps si l’âme
comme la mère l’enfant
auraient pu survivre ensemble
Dans le poème suivant, il est fait mention d’une « vie née d’une fièvre ». Cette naissance est liée dans ce même poème à « l’enfance qui se réveille / fleuve immense ». On comprend de plus en plus que la maison, la deuxième, celle qui se substituera à la maison manquante, à la maison manquée, à la maison du manque d’amour, on comprend, dis-je, que ce sera non seulement une maison réparatrice, mais qu’elle sera réparatrice dans la mesure où la poète sera enfin parvenue, comme elle l’écrivait dans la suite précédente à « retrouver Kamouraska », à retrouver l’enfant qu’elle a dû laisser derrière elle, qu’elle a abandonnée suite aux empêchements qui très tôt ont entravé la suite de son avènement : « l’enfance qui se réveille / fleuve immense ».
Le poème suivant est fort révélateur sur ce point. Tant il est prégnant, tant l’écrivaine a trouvé les mots pour dire l’essentiel, je me dois de le retranscrire au complet. Son premier vers reprend un exergue puisé chez Louise Dupré : « Si au moins je savais ce qui t’appartient. »
si au moins je savais compter
mes rêves mes pas à rebours sur la grève
revenir au commencement des jeux et regards
qui ne font de mal à personne
j’ignore quand il m’a fallu effacer
les jours de mes nuits les lueurs du paysage
un incroyable besoin de disparaître
m’a traversée avant que je sache parler
Le verbe « disparaître » reviendra par la suite à quelques reprises.
Au poème que je viens de citer fait suite un poème qui le développe. Il convient lui aussi de le citer entièrement.
il me faut détruire des archives illisibles
mon origine a tremblé dans un champ de ruines
au milieu des visages de poussière
des noms interdits à la source
je ne veux plus dire père mère
je ne sais pas où ni comment
mon enfance fleuve immense
aurait pu exister nue
dans la transparence des eaux
mais j’aimerais retrouver ce voyage à la mer
son souffle estuaire qui me protégeait
Est-il besoin ici de paraphraser ce poème ? Je crois que non. Son propos est clair et percutant. Il dit la gravité sans appuyer. Il est délesté du souci de phraséologie, de la recherche d’une poéticité d’apparat. Il est tout simplement poème. De manière naturelle, avec simplicité, sans ambages, il exprime une fois encore le souhait de regagner l’estuaire et de laisser l’enfance enfin advenir.
Les choses ne s’arrêtent pas là, mais il m’est impossible ici d’en souligner toutes les beautés sans allonger indûment ce commentaire. Il suffit qu’on ait compris que dans sa gravité cette œuvre est riche et finement accomplie. Du reste, il me tarde de plonger dans la première version de la suite que je viens de commenter. Diffère-t-elle de celle qui a récemment été publiée ? Et quand est-il de la recension que je lui avais réservée alors ?
Un mot sur la dernière section du recueil avant de satisfaire ma curiosité.
Après avoir parlé à maintes reprises de la « maison bancale », et non « manquante » comme mentionné plus haut, la poète conclut son recueil par la suite intitulée J’habite la maison du crime, preuve s’il en est que « le drame de la pierre / n’est jamais achevé ». On le constate, notre poète a de la suite dans les idées. Son recueil allie cohérence et cohésion. Il forme un tout. On retrouvera donc dans la quatrième suite « l’enfance défaillante », la nécessité qu’il y a d’entreprendre un « combat » et, suite au « corps [qui s’écrivait] à l’encre rouge » dans le poème ouvrant le recueil, une « barque de chair / abîmée déserte ». Il va de soi que le thème de la maison est à nouveau développé. La poète parle alors de la « maison de tous les fracas ».
Et je permets à nouveau de le souligner, nous lisons ici de très beaux vers :
tu pourrais te cacher
dans la nostalgie
la valise du souvenir
qui refuse de s’ouvrir
Le ton de la dernière section, du moins au tout début, me paraît posé, moins trouble. Quoique. Tout de même, une forme de sérénité vient clore le recueil. À l’azur mallarméen, sombre étouffement de tout espoir, fait place chez Marie-Josée Ayotte un azur plus clément. Les derniers vers du recueil incitent à croire que l’enfance, le fleuve et l’estuaire pourraient bien avoir été finalement retrouvés sous le ciel serein de Kamouraska.
la tête renversée
s’en remet à l’univers
*
On se demandera si les deux versions d’Il semble que tout cède au vent noir diffèrent beaucoup. Elles sont différentes surtout sur un point. Quelques poèmes de la version antérieure ont des titres, alors que dans la dernière aucun poème n’en a. Je remarque aussi qu’au moins un poème offre une variante, non quant aux mots, mais dans le découpage des strophes.
Pour satisfaire ma curiosité, je relis et vous offre de lire avec moi ce que j’ai écrit il y a un an au sujet de cette suite. Nous constaterons alors en quoi les deux commentaires vont ou non dans le même sens.
*
Marie-Josée Ayotte ouvre le bal. Le titre de sa partition annonce une musique quelque peu agitée : Il semble que tout cède au vent noir. La violence dont une certaine douceur viendra peut-être à bout est présente dès le premier poème. Cette violence est en lien avec une douleur que l’on pourrait dire native. Tout se joue entre apparition et disparition, entre naissance et mort. Au premier vers (« je pourrais apparaître ») feront écho de nombreux passages dans lesquels la poète exprimera une troublante difficulté d’être, d’être au monde, d’y vivre véritablement. Ce premier vers dit la possibilité d’une venue au monde, mais cette naissance ne se fera qu’au prix d’un véritable combat. La poète parle d’une « artillerie lourde », d’« obus » et de « fureur aux poings ». Au cœur de cette guerre, la poète fait montre de révolte et de résistance. La voici engagée sur « le chemin des femmes », en solitaire qui voit sa solitude multipliée par celles des femmes dont elle est solidaire. Il s’agit pour elle d’« arracher aux mots un avenir ». Les saccages qui ont mis sa vie à mal, les empêchements qui dès son plus jeune âge ont entravé sa route sont des épreuves qu’elle traverse tant bien que mal : « chaque feu traversé avive ma colère / me garde urgence vivante ». Elle réfère à « un flot de secrets inavouables ». On devine que ces derniers sont relatifs aux heures sombres de son enfance, à ce qu’elle appelle un carnage. Il semble qu’il y ait eu dans son cas étouffement de l’enfance, de « l’autre vie / celle qui aurait pu advenir ». Alors qu’elle éprouve « un incroyable besoin de disparaître », un sentiment contraire la conduit à vouloir retrouver enfin « ce qui aurait pu advenir ». Elle cherche à « revenir au commencement des jeux et regards / qui ne font de mal à personne ». Cela s’appelle l’innocence.
Mais comment revenir à un tel état de pureté, alors qu’on se trouve « au milieu des visages de poussière » ? Alors que son « origine a tremblé dans un champ de ruines » ? Il sera question à quelques reprises dans cette suite d’une « maison bancale ». La poète a beau se tenir debout dans cette maison, comme l’écrit Rilke, que du reste elle cite, tout autour d’elle « les choses tombent / irréparables ». La chambre qu’elle occupe est associée « aux dédales de l’impasse », aux dédales où disparaît l’enfant « coupé du monde ». Dans de telles conditions, dans cette « solitude à perpétuité » mourir ne peut qu’aller de soi : « chaque jour j’épouse la mort / l’éternité me prend dans ses bras / et je ne dis pas non ». Fuse néanmoins « un cri de ruines ». La naissance est désirée, appelée. De très beaux vers expriment cette volonté : « pour une beauté moins grave dit-on / rien ne sert de creuser la différence / entre les vivants et les morts // je ne compte plus les décombres / je leur devrai peut-être de périr / au bout d’une existence plus forte ».
De la maison bancale, celle qui oscillait entre apparaître et disparaître en viendra à s’extraire. Elle émergera « de la cave au chaos lumineux ». C’est qu’« un désir de visage ». aura lentement cheminé en elle. Les « heures d’enfance » ne sont pas perdues à jamais. Après les « vieilles blessures », après les « feuillages d’hiver », l’enfance peut parvenir à refleurir.
On peut comprendre que la qualité du travail de Marie-Josée Ayotte ait été reconnue. Sa suite contient des poèmes conçus avec doigté, l’écriture soignée est à la fois expressive, musicale et suggestive. Les images qu’on y rencontre s’accordent avec un propos qu’elles servent avec pertinence. Ce premier opus est tout à fait réussi.

Je m’absente pour quelques semaines.
J’aimerais relever le défi que tu proposes: Pour satisfaire ma curiosité, je relis et vous offre de lire avec moi ce que j’ai écrit il y a un an au sujet de cette suite. Nous constaterons alors en quoi les deux commentaires vont ou non dans le même sens.
De retour dans quelques semaines cependant…
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Je te souhaite de bonnes semaines.
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