Patrick Coppens : MENU FRETIN pour ainsi dire ou LE JOURNAL DU MÉNÉ : Poésie : Pierre Turcotte Éditeur : Collection Magma Poésie : 101 pages

toute souffrance mise à part
je chante

Ces vers se trouvent dans l’un des tout premiers poèmes du recueil. Nous saurons plus tard de quelle nature est cette souffrance, de quelle nature est ce chant.

Dans un autre poème, un peu plus loin, en italiques cette fois, le poète écrit : «  Le poisson qui dansait  / glissa sur le parquet ». Voilà un poisson. Le titre du recueil a trait au menu fretin, au méné. Le menu fretin, autant dire les gens qui importent peu, les petits poissons que les pêcheurs dédaignent et rejettent à l’eau.

Je vais me permettre ici de lire le recueil et de le commenter au fil de ma lecture. Je découvrirai au fur et à mesure ses poèmes. Je m’arrêterai pour en citer quelques-uns. Et tout d’abord celui-ci, venant tout juste après celui où il est question du poisson qui a glissé sur le parquet.

On avait poussé les meubles
de grands sentiments remplissaient la pièce
et quelques humains se sentaient de trop 

On peut se demander si l’on doit prendre ce poème isolément ou si l’on peut le relier au poisson du précédent poème. Ce poisson tombé sur le parquet, a-t-on voulu lui faire plus de place ? S’est-on écarté de lui comme on le fait de quelqu’un qui est mal en point et qu’on doit par conséquent laisser respirer ? Une chose est certaine, en tassant les meubles, on a dégagé l’espace ; on assistait alors à une scène troublante qui avait de quoi impressionner. Était-ce au moment de la chute de ce poisson tombé sur le sol ? Est-ce elle qui suscita « de grands sentiments » et du malaise ?

Les poèmes de Coppens ont quelque chose d’énigmatique, ce sont comme des poissons qui se sont échappés de son âme, qui ont glissé sur la page. Ils dansent sous nos yeux. Autrement dit, c’est le poète qui danse, qui nous entraîne dans un tango. Le lecteur est un peu comme cet ami que voici, en retard sur le poème : « Parti derrière / mon ami de toujours / est un peu claudiquant ». Une lecture boite toujours un tant soit peu. Car, bien entendu, on n’entend pas tout. Les vers sont quelque peu sibyllins, ils ne se livrent pas nécessairement dans l’immédiat de la lecture. Il faut y revenir. Et alors, on lira et verra autre chose que cela qu’on a d’abord lu et vu. C’est là le propre de la poésie.

On trouve de beaux poèmes dans le recueil de Patrick Coppens, dont cette espèce de petit conte.

Il y avait au bout du champ
une maison jaune et bistre
aux volets clos
un jour d’hiver
de la musique
sortit par la cheminée
quelqu’un était revenu
apparemment joyeux

Certains poèmes sont beaux et énigmatiques.

Lune d’arbre
nuit perchée
et fumée
vers Dieu d’avril
les chemins de bergers
et l’étoile écartée
d’une seule main
il couvre son visage

Il y en a aussi de bien sages, dont la fantaisie peut avoir quelque chose d’ancien.  

J’ai des lettres d’amour
cachées dans le cerceau
des Je t’aimerai toujours
dans les plis du rideau

Il arrive que çà et là, le poète réfère à la poésie.

Mystère de la poésie
je lis je lis encore
elle dort
j’arrête
elle se réveille
Que c’est beau dit-elle
en sursaut

Nous lisons donc tout doucement, quand tout à coup réapparaît le poisson de tantôt. Il va sans dire que son retour nous met la puce à l’oreille. C’est donc que ce poisson n’avait rien de gratuit ou de fortuit, il n’était pas le fruit du hasard. Si une écriture quelque peu automatique l’avait d’abord inspiré au poète, celui-ci aura vu en lui un symbole, c’est le cas de le dire, tout à fait significatif. Une métaphore filée est en soi révélatrice. Le recours à l’italique, figure ici d’insistance, incite le lecteur à se montrer attentif à ce curieux poisson. Ailleurs, dans le recueil, il en a été prévenu, le sens danse et la vérité a quelque chose de fuyant, elle nous glisse entre les doigts. Le poème qui dormait, alors que l’on s’arrête de lire, se réveille, se révèle. Il faut savoir attendre pour le voir enfin se lever sous nos yeux et disparaître à nouveau.

le poisson qui dansait
le tango
glissa
sur le parquet
mouillé

Pour en revenir à la poésie, à ce qu’en dit le poète dans ses poèmes, à ses rapports glissants avec la vérité (ce ne sont pas des rapports conflictuels, mais poésie et vérité ne forment pas un couple dont l’évidence se mesure en chiffres. Si « L’évidence participe / de votre poésie », le lecteur semble être ravalé à « l’imprudent » (qui ose interpréter), « au rêveur, au méchant / tous accusés / d’écoute électronique ».

Chers poètes, c’est là un jeu que nous, lecteurs de profession, jouons par la force des choses. Votre poème, votre poisson qui danse est un peu comme une anguille électrique. Dans son imprudence, alors que le sens du poème danse le tango sous ses yeux, le lecteur, s’il s’aventure à interpréter, manipule plutôt prudemment vos poèmes. Il jongle à son tour avec vos jongleries. Il peut se fourvoyer. Le lui pardonnera-t-on ? Et Coppens de répondre à cette question. Comme quoi on voit que le poète a de la suite dans les idées.  

L’évidence participe aux corvées
il arrive que comprendre un poème
nuise à sa félicité

Après quelques poèmes dont le charme est indiscutable, poèmes qu’on peut renoncer à vouloir comprendre pour se contenter de n’en saisir que la beauté, nous revient à nouveau ce drôle de poisson, énigmatique, mais qui sans doute finira par nous livrer ses secrets.

Le poisson qui dansait le tango
glissa sur le parquet mouillé
entraînant sa cavalière
dans la chute

Nous voici parvenus au milieu de ce recueil comptant un peu plus de quatre-vingts poèmes, courts pour la plupart. Et voici qu’une partenaire apparaît. Peut-être est-ce la muse du poète, sa compagne. Quoi qu’il en soit, cette chute est de moins en moins anecdotique. Elle gagne en importance. Il y a un récit dans ce recueil. La chute du poisson et de sa partenaire en est l’épisode central.

La fantaisie de l’auteur semble être une forme de politesse, de délicatesse. Pour dire, la gravité, Coppens nous adresse de discrets sourires. Il semble sourire à l’idée de la mort, à son imminence, car un poisson sorti de son élément risque évidemment le pire. Dans le poème précédent, ne venait-on pas tout juste de lire que « la pureté de l’air / dépend de celui qui respire » ?

Après d’autres poèmes dont le charme encore une fois est indéniable, poèmes qu’on comprend de plus en plus, non sans en saisir la beauté, le drôle de poisson abat enfin son masque.

Après avoir donné
des recettes de polenta aux piverts
des cours de maintien aux pivoines
par gros temps
moi le poisson le mené
je me suis essayé
à la philosophie

L’italique a disparu. On retient « moi le poisson le mené ». On sourit au reste du poème, à son aimable fantaisie. Elle fait songer au dessin de l’auteur illustrant la couverture du livre. Coppens est un esprit libre. Il se joue de la mort. Dans le poème précédent, on a d’ailleurs pu lire que la vie est une « blague pour initié ». Plus loin, il écrit : « J’ai vécu / silence bénin et censure pleutre / j’attends la suite […] » Puis : « Et rien ne te dit / que mourir / sera ma dernière prouesse ».  

Il ne reste plus que trois poèmes. La fin du livre approche. Avec l’italique, nous revient une fois de plus le poisson. Il livre de plus en plus ses secrets.

Le poisson
qui dansait le tango
glissa sur le parquet mouillé
entraînant Brigitte dans sa chute
la nappe et la théière
et le bouquet de la mariée

On le voit, le poète laisse ici entrer des éléments concrets de sa réalité. Il apporte des précisions sur l’événement central de sa chute. Elle semble se rattacher concrètement à sa propre existence, et ce, non pas de manière purement symbolique. On ne le sait pas, car il ne le dit pas, mais cette scène pourrait réellement avoir eu lieu. Moment de crise, quelque chose comme un AVC, qui sait ? Sa cavalière est maintenant identifiée. C’est comme si nous sortions du livre pour assister à la scène elle-même. Comme si le poème en venait à livrer la clef de son énigme. Le poète n’inventait pas. Ou si l’on préfère, sa fable disait vrai, racontait quelque chose de véridique. Le poète aurait connu une chute et, pourrait-on dire, frôlé la mort de près.  

Le dernier poème du recueil est fort émouvant. On y voit la discrétion de l’auteur, sa pudeur. Tout y est dit finement, avec retenue.

Pour cacher sa gêne
le poisson embrassa
Brigitte sur le front 
merci beaucoup pour tout
à très bientôt de nouvelles aventures
et n’oubliez pas de vider l’aquarium 

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Auteur : Daniel Guénette

Né le 21 mai 1952, Daniel Guénette est originaire de Montréal. Il a vécu la majeure partie de son existence dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Après des études en lettres à l’Université de Montréal, où il obtient un diplôme de maîtrise en création littéraire, il enseigne la littérature au cégep de Granby. En 2011, il prend sa retraite après 34 années d’enseignement. À l’aube de la soixantaine, il renoue avec l’écriture qu’il avait cessé de pratiquer durant près de vingt ans. Il publie chez Triptyque deux recueils de poésie, Traité de l’Incertain en 2013 et Carmen quadratum en 2016, ainsi qu’un récit, L’École des Chiens, en 2015. Dans son œuvre antérieure alternaient ouvrages de poésie (3 titres au Noroît, 2 chez Triptyque) et productions romanesques (3 titres chez Triptyque). Ces ouvrages furent publiés entre 1985 et 1996. L’ensemble fut bien reçu par la critique. À l’occasion du vingtième anniversaire des éditions Triptyque, feu Réginald Martel écrivait : « Et on soupçonne que bien des éditeurs seraient ravis d’inscrire à leur catalogue, parmi quelques auteurs de Triptyque, le nom d’un Daniel Guénette, par exemple. » J. Desraspes a enchanté Jean-Roch Boivin : « Ce roman est un délicieux apéritif, robuste et délicat, son auteur un écrivain de talent et de grands moyens. » Réginald Martel parle d’un roman « qu’on dévore sans reprendre son souffle » ; il salue également la parution des romans qui suivent, se montrant surtout favorable à L’écharpe d’Iris. Pierre Salducci écrit dans Le Devoir un article élogieux sur ce roman : « L’écharpe d’Iris est une réussite, une petite musique qui nous parle de la nature humaine et qu’on n’arrive pas à oublier. Un roman magnifique, un vrai. Pas un phénomène de mode. Pas un produit branché et périssable. Mais de la littérature. Tout simplement. » L’École des Chiens, qui en 2015 marque le retour de l’auteur au récit, a été commentée par divers blogueurs, dont le poète Jacques Gauthier : « Ce beau récit du poète Daniel Guénette évoque, avec pudeur et humilité, les onze années vécues auprès de Max qu’il a dû faire euthanasier à cause d’un cancer. Ils sont rares de tels livres qui traitent si tendrement de la relation entre un homme et son animal de compagnie. Ça parle de vie et de mort, d’attachement et d’amitié, d’enfance et de solitude. » Pour sa part, Topinambulle écrit : « Dans ce très beau récit, un homme apprivoise doucement le deuil de son chien. À la manière de Rousseau, Daniel Guénette nous invite à le suivre dans ses promenades, dans les méandres de ses souvenirs, où l'évocation de l'ami fidèle nous servira de guide. ». Dominic Tardif, dans Le Devoir, 4 juillet 2015 a rendu compte chaleureusement de L’école des chiens. Il a souligné qu’avec ce récit, l’auteur avait produit « de la vraie littérature » : « Plus qu’un livre sur un maître et son animal, L’école des chiens célèbre le pouvoir de l’écriture qui, chez Daniel Guénette, n’aspire pas à remplacer l’en allé, mais bien à en continuer la vie. » Recommandé avec enthousiasme à ses téléspectateurs, L’école des chiens a fait l’objet d’un échange de cadeaux à l’émission LIRE présentée sur ARTV. À partir de 1975, l’auteur a collaboré à diverses revues de littérature à titre de poète et de critique. On a pu lire ses recensions dans la revue Mœbius. Pour l’une d’elles, l’auteur a été finaliste au Prix d’excellence de la SODEP 2016, dans la catégorie Texte d’opinion critique sur une œuvre littéraire ou artistique. Plus récemment, l’auteur a publié deux nouveaux titres en poésie, Varia au Noroît en 2018 et, à l’hiver 2023, La châtaigneraie aux Éditions de la Grenouillère. Pour ce recueil, le poète a été finaliste au Prix d’excellence du webmagazine La Métropole. Dans la recension que réserve à cet ouvrage la revue LQ, le critique Antoine Boisclair écrit: « Ce recueil émouvant, très maîtrisé du point de vue formel, témoigne d’un savoir-faire indéniable. » Le critique et poète français Pierre Perrin écrit dans sa revue trimestrielle de littérature, la revue française « Possibles », ne pas confondre avec la revue québécoise du même nom : « Daniel Guénette a le vers sûr, souvent proche de l’alexandrin, parfois très bref. Il sait restituer une vie, avec sa foudre, ses éclairs, et les moments de calme, voire de communion. La Châtaigneraie constitue un beau recueil presque filial. » Pour sa part, dans Le Ou'tam’si magazine, Nathasha Pemba déclare que « La châtaigneraie est un recueil de poésie qui a l’allure d’un hommage, d’un renouvellement du contrat amical. C’est une poésie ontologique qui va au fond des choses pour faire émerger l’être. Daniel Guénette une fois plus confirme qu’il est poète, le poète de l’amitié, le poète de l’altérité, le poète de l’éternité. » Outre ces recueils de poésie, l’auteur fait paraître quelques nouveaux romans. De Miron, Breton et le mythomane, paru en 2017 à La Grenouillère, Dominic Tardif écrit dans Le Devoir : « Chronique des glorioles imaginaires d’un grand taquin aimant (se) conter des histoires et fabuler une légendaire vie d’aventures, Miron, Breton et le mythomane est le carton d’invitation d’une fête organisée en l’honneur du mensonge auquel s’abreuve n’importe quelle forme de littérature digne de ce nom. » Pour sa part, Dédé blanc-bec reçoit dans Nuit Blanche un commentaire signé Gaétan Bélanger : « Le ton poétique empreint d’humour et de nostalgie adopté par l’auteur rend extrêmement agréable la lecture de ce roman émouvant. Il faut préciser que, tout d’abord, il est un peu déroutant de suivre les bonds fréquents de la narration dans le temps. Plus que de simples digressions, elles donnent parfois l’impression que l’auteur saute du coq à l’âne pour revenir aux mêmes événements, observés sous un angle différent. Mais on s’habitue vite à cette manière ou à ce style et on l’apprécie pour son originalité. Voilà donc un roman au texte minutieusement poli et se démarquant par sa qualité et son audace. » Vierge folle est le dernier roman de l’auteur. La recension parue dans Culture Hebdo se termine avec ces mots : « Nous vous laissons le soin de découvrir la conclusion. Excellent, est un euphémisme. On a adoré. » Ce roman, sans doute le meilleur de l’auteur, s’il a suscité l’enthousiasme de ses lecteurs n’a guère fait l’objet de recensions sérieuses. Pour des recensions sérieuses, il aura fallu attendre l’hiver 2023. Au billet d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie, se sera ajoutée dans Le Devoir une chronique de Louis Cornellier consacrée non pas à un roman ou un recueil, mais à un essai. Le journaliste y salue d’abord le travail entrepris par l’écrivain sur son blogue : « Fin lecteur de poésie, l’écrivain s’y impose comme un critique raffiné, érudit et amical dont le style, limpide et élégant, s’apparente à celui de la conversation relevée. Ces qualités en font une rareté dans le paysage littéraire québécois. » Puis, il rend compte de l’essai : « Dans Le complexe d’Orphée (Nota bene, 2023, 186 pages), l’écrivain se fait plus essayiste que critique en proposant « une manière de promenade » dans laquelle il tente « de saisir la nature de la poésie ». Fidèle à son approche modeste et exploratoire, il déambule en compagnie des poètes et penseurs qu’il aime afin de délimiter son objet, tout en cultivant le souci de ne pas l’enfermer. » Il conclut sa chronique en ces termes : « Partisan des « poèmes limpides » qui disent de « simples vérités », Guénette trouve dans la poésie un antidote « à l’endormissement de [ses] facultés » ou, comme l’écrit Valéry, un discours « chargé de plus de sens, et mêlé de plus de musique, que le langage ordinaire n’en porte et n’en peut porter ». Fénelon aurait aimé ce livre admirable. » La conclusion de l’article d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie était elle aussi plutôt réjouissante : « Romancier accompli (son dernier récit, Vierge folle, est paru en 2021 aux éditions de La Grenouillère), critique littéraire important (son blogue, intitulé Dédé blanc-bec, offre des comptes rendus très étoffés sur des publications québécoises), Daniel Guénette est aussi un poète qui mérite toute notre attention. »

4 réflexions sur « Patrick Coppens : MENU FRETIN pour ainsi dire ou LE JOURNAL DU MÉNÉ : Poésie : Pierre Turcotte Éditeur : Collection Magma Poésie : 101 pages »

  1. J’aime bien ce Patrick Coppens qui t’a poussé à déployer ta patience de pêcheur et de fin limier jusqu’au dernier poème…

    Heureux mélange de «beaux mots», de poésie simple et … d’intrigue!

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