Simon Painchaud : Je parle de vos silences : Poésie : Éditions du Noroît : 2023 : 96 pages

Il y aurait lieu avec ce livre ainsi qu’avec de nombreux autres d’interroger la pertinence et/ou la nécessité des présentations qu’offrent les quatrièmes de couverture. Elles informent, certes là est leur but, mais ce qu’elles révèlent peut s’avérer superfétatoire, pour peu que le livre se suffise à lui-même, pour peu qu’il parvienne réellement à livrer ses secrets, à faire rayonner le sens dont il est constitué. Si tel n’est pas le cas, le livre appelant alors un supplément, le métatexte qu’est la présentation souligne un manque, pour ne pas dire un manquement. Du silence au sein de l’ouvrage est ainsi mis en évidence. Cette béance est comblée de l’extérieur. Le discours de soutènement vient en quelque sorte consolider l’appareillage du texte. Son ajout éclaire l’obscurité relative du livre en se superposant ou se substituant à ce que le texte ne dit pas ou ne parvient pas tout à fait à communiquer : je ne dis pas « exprimer ».

Ou sinon, il va tout autrement. Le texte est plénier, franchement souverain. Ses fils ont été fermement tendus. Ne brille par son absence aucun élément nécessaire à la saisie du sens. Le sens peut éclore pour autant que lecteurs et lectrices sont réellement à l’écoute des signes. S’ils sont incapables de lire vraiment, le discours de présentation pallie leur éventuelle maladresse ou incompétence.

Le rabat de la quatrième de couverture de ce recueil présente un indéniable intérêt. Il a le mérite d’expliciter ce en quoi consiste la démarche de l’auteur. À dire vrai, je me demande si, sans cet adjuvant, un lecteur consciencieux — je rappelle que toute lecture véritable implique la collaboration du lecteur — parviendrait par lui-même à découvrir tout ce que cette quatrième met en lumière.

Je cite ici dans son intégralité le texte de présentation.

« Que conservons-nous des vies qui nous ont précédés, dont nous sommes les cendres chaudes ?

À l’aube de devenir père pour la première fois, Simon Painchaud capture dans ses poèmes les lumières clignotantes d’une lumière à restituer pour l’enfant à naître. Explorant les thèmes de la paternité, de la filiation et de l’intimité amoureuse, le recueil dévoile, à la manière d’une chambre noire, les ombres de souvenirs et de visages familiers — parents, aïeux et fantômes — qui offrent au présent une nouvelle densité. L’écriture devient fouille archéologique où le corps, tel un pendule, oscille entre la mémoire vivante des ancêtres et l’acte de création ; c’est par le truchement de ses allers-retours que s’engage un langage sensible et salvateur. À partir de ce lieu débusqué, le narrateur découvre un nouvel ancrage dans le réel qui lui permettra d’offrir la vie. »

Ces informations aidant, on s’aventurera avec plus d’aisance et d’efficace dans la lecture de ce recueil. C’est un ouvrage bien fait. Je tiens à le mentionner. Il est solidement construit. Le poète a veillé au grain. Une minutie partout se révèle dans ses poèmes finement ciselés, dont toute afféterie, toute préciosité sont absentes. Or cela qui s’avère capital serait peu si un propos « essentiel » n’apparaissait, ne nourrissait l’ensemble de son ouvrage. Un propos essentiel en ce sens où le poète ici s’interroge, une pensée étant à l’œuvre dans sa prose et ses vers. Remonter au plus loin de sa généalogie, plonger dans le sol où les gisants détiennent ses racines, entrer dans cette chambre noire où la lumière des photographies anciennes à nouveau prend vie et, finalement, en venir soi-même à donner la vie, voilà qui constitue un ambitieux programme, une sérieuse pérégrination.

Tout commence ici par une dédicace où passé, présent et avenir sont intimement liés. « À vous qui me portez sur vos épaules/et à toi qui grandiras sur les miennes ». À ces temps réunis en gerbe, les vers suivants feront écho : « l’avant maintenant l’après/emmêlés dans les filets/de la chair ». D’autres passages du livre vont dans le même sens : « vos corps pliés sur mes épaules/ont la carrure d’un livre entrouvert » et ceci : « nous portons nos blessés/sur les épaules ».    

Après des exergues empruntés à Hélène Dorion et Pierre Ouellet, exergues que l’on pourrait dire idoines tant ils correspondent au propos de l’ouvrage, le poète prend la parole dans un très beau texte d’ouverture se déployant à travers cinq courts textes de prose et un poème versifié. Ce premier texte et le texte final qui le prolonge fournissent un cadre. Les deux diffèrent plus ou moins de l’ensemble du recueil en cela qu’ils en constituent pourrait-on dire les assises. Ils présentent un personnage déterminant, il s’agit du grand-père. De ce dernier découle la passion pour la photographie dont aura hérité celui que la quatrième de couverture appelle le « narrateur ». Le tout premier morceau de cet avant-propos, que rien ne signale comme tel, est d’une belle et franche limpidité. Son écriture se rapproche de la prose la plus transparente qui soit, celle qu’on rencontre, par exemple, dans les récits autobiographiques. Première phrase : « Mon grand-père était photographe. » Le ton se compare à celui de l’anecdote. Le décor est planté. Il sera question de photographie. Autrement dit, il sera question de la vie, de la vie de ceux et celles que le grand-père a saisis dans le vif de leur existence. Il en sera question, mais sur un mode allusif, comme en passant par-là. Le narrateur ne va pas ressusciter individuellement chacun et chacune des membres de sa parentèle. Ces derniers forment le minerai, la couche sédimentaire, le sol archaïque où plongent ses racines. Nous ne sommes pas ici dans un récit réaliste. Le poète commente les photographies. Laissons-lui la parole.

« Les corps sont parfaitement cadrés. Rigoureux de joie. Si je les regarde assez longtemps, je vois une mèche tomber sur un front, une main glisser sur une hanche, une lèvre frémir. Je soulève les photos, cherche dans leurs tombeaux de colle les abords d’un fleuve nourricier. » 

Photographies en mouvement, cinéma de l’âme, réanimation. On assiste au travail de l’imaginaire du poète. Grâce à son regard aimant, les personnages du passé respirent à nouveau. Il dira qu’il « renverse leur disparition ». Bref, il les fait resurgir du néant, renaître à la vie. Il parle de « la chair des albums » qu’il fait sortir, pourrait-on dire, des placards où l’oubli les avait remisés. Il est, dit-il, « à l’orée d’un vaste lieu d’enfouissement. »

Si je m’écoutais, je citerais volontiers de nombreux passages du recueil. Il en est de franchement remarquables ; du reste, ils sont plutôt nombreux. Enfin, à l’invitation du grand-père, le narrateur se replonge dans la vie de ses ancêtres.

     « Il me propose un dernier jeu : déplier les voix. Écouter le mouvement imperceptible des corps. Inventer une langue à l’immobilité. Mon grand-père avait le don d’arrêter le sang. Et si l’écriture pouvait l’éclaircir ? « 

« Inventer une langue à l’immobilité », ainsi s’actualisera dans la suite du recueil la fonction poétique. Par le poème, ses images, ses délires contrôlés, ses beautés intrinsèques, il s’agira de réanimer le silence, de redonner vie à l’immobilité, entre autres celle des gisants. Mais le poète, que la quatrième de couverture nous en ait avertis ou non, cela nous le comprenons aisément par nous-mêmes, poursuit d’autres visées, lesquelles sont tournées vers l’avenir, que pas à pas le présent espère et prépare. Un enfant naîtra. « Un prénom arrivera ».

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Auteur : Daniel Guénette

Né le 21 mai 1952, Daniel Guénette est originaire de Montréal. Il a vécu la majeure partie de son existence dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Après des études en lettres à l’Université de Montréal, où il obtient un diplôme de maîtrise en création littéraire, il enseigne la littérature au cégep de Granby. En 2011, il prend sa retraite après 34 années d’enseignement. À l’aube de la soixantaine, il renoue avec l’écriture qu’il avait cessé de pratiquer durant près de vingt ans. Il publie chez Triptyque deux recueils de poésie, Traité de l’Incertain en 2013 et Carmen quadratum en 2016, ainsi qu’un récit, L’École des Chiens, en 2015. Dans son œuvre antérieure alternaient ouvrages de poésie (3 titres au Noroît, 2 chez Triptyque) et productions romanesques (3 titres chez Triptyque). Ces ouvrages furent publiés entre 1985 et 1996. L’ensemble fut bien reçu par la critique. À l’occasion du vingtième anniversaire des éditions Triptyque, feu Réginald Martel écrivait : « Et on soupçonne que bien des éditeurs seraient ravis d’inscrire à leur catalogue, parmi quelques auteurs de Triptyque, le nom d’un Daniel Guénette, par exemple. » J. Desraspes a enchanté Jean-Roch Boivin : « Ce roman est un délicieux apéritif, robuste et délicat, son auteur un écrivain de talent et de grands moyens. » Réginald Martel parle d’un roman « qu’on dévore sans reprendre son souffle » ; il salue également la parution des romans qui suivent, se montrant surtout favorable à L’écharpe d’Iris. Pierre Salducci écrit dans Le Devoir un article élogieux sur ce roman : « L’écharpe d’Iris est une réussite, une petite musique qui nous parle de la nature humaine et qu’on n’arrive pas à oublier. Un roman magnifique, un vrai. Pas un phénomène de mode. Pas un produit branché et périssable. Mais de la littérature. Tout simplement. » L’École des Chiens, qui en 2015 marque le retour de l’auteur au récit, a été commentée par divers blogueurs, dont le poète Jacques Gauthier : « Ce beau récit du poète Daniel Guénette évoque, avec pudeur et humilité, les onze années vécues auprès de Max qu’il a dû faire euthanasier à cause d’un cancer. Ils sont rares de tels livres qui traitent si tendrement de la relation entre un homme et son animal de compagnie. Ça parle de vie et de mort, d’attachement et d’amitié, d’enfance et de solitude. » Pour sa part, Topinambulle écrit : « Dans ce très beau récit, un homme apprivoise doucement le deuil de son chien. À la manière de Rousseau, Daniel Guénette nous invite à le suivre dans ses promenades, dans les méandres de ses souvenirs, où l'évocation de l'ami fidèle nous servira de guide. ». Dominic Tardif, dans Le Devoir, 4 juillet 2015 a rendu compte chaleureusement de L’école des chiens. Il a souligné qu’avec ce récit, l’auteur avait produit « de la vraie littérature » : « Plus qu’un livre sur un maître et son animal, L’école des chiens célèbre le pouvoir de l’écriture qui, chez Daniel Guénette, n’aspire pas à remplacer l’en allé, mais bien à en continuer la vie. » Recommandé avec enthousiasme à ses téléspectateurs, L’école des chiens a fait l’objet d’un échange de cadeaux à l’émission LIRE présentée sur ARTV. À partir de 1975, l’auteur a collaboré à diverses revues de littérature à titre de poète et de critique. On a pu lire ses recensions dans la revue Mœbius. Pour l’une d’elles, l’auteur a été finaliste au Prix d’excellence de la SODEP 2016, dans la catégorie Texte d’opinion critique sur une œuvre littéraire ou artistique. Plus récemment, l’auteur a publié deux nouveaux titres en poésie, Varia au Noroît en 2018 et, à l’hiver 2023, La châtaigneraie aux Éditions de la Grenouillère. Pour ce recueil, le poète a été finaliste au Prix d’excellence du webmagazine La Métropole. Dans la recension que réserve à cet ouvrage la revue LQ, le critique Antoine Boisclair écrit: « Ce recueil émouvant, très maîtrisé du point de vue formel, témoigne d’un savoir-faire indéniable. » Le critique et poète français Pierre Perrin écrit dans sa revue trimestrielle de littérature, la revue française « Possibles », ne pas confondre avec la revue québécoise du même nom : « Daniel Guénette a le vers sûr, souvent proche de l’alexandrin, parfois très bref. Il sait restituer une vie, avec sa foudre, ses éclairs, et les moments de calme, voire de communion. La Châtaigneraie constitue un beau recueil presque filial. » Pour sa part, dans Le Ou'tam’si magazine, Nathasha Pemba déclare que « La châtaigneraie est un recueil de poésie qui a l’allure d’un hommage, d’un renouvellement du contrat amical. C’est une poésie ontologique qui va au fond des choses pour faire émerger l’être. Daniel Guénette une fois plus confirme qu’il est poète, le poète de l’amitié, le poète de l’altérité, le poète de l’éternité. » Outre ces recueils de poésie, l’auteur fait paraître quelques nouveaux romans. De Miron, Breton et le mythomane, paru en 2017 à La Grenouillère, Dominic Tardif écrit dans Le Devoir : « Chronique des glorioles imaginaires d’un grand taquin aimant (se) conter des histoires et fabuler une légendaire vie d’aventures, Miron, Breton et le mythomane est le carton d’invitation d’une fête organisée en l’honneur du mensonge auquel s’abreuve n’importe quelle forme de littérature digne de ce nom. » Pour sa part, Dédé blanc-bec reçoit dans Nuit Blanche un commentaire signé Gaétan Bélanger : « Le ton poétique empreint d’humour et de nostalgie adopté par l’auteur rend extrêmement agréable la lecture de ce roman émouvant. Il faut préciser que, tout d’abord, il est un peu déroutant de suivre les bonds fréquents de la narration dans le temps. Plus que de simples digressions, elles donnent parfois l’impression que l’auteur saute du coq à l’âne pour revenir aux mêmes événements, observés sous un angle différent. Mais on s’habitue vite à cette manière ou à ce style et on l’apprécie pour son originalité. Voilà donc un roman au texte minutieusement poli et se démarquant par sa qualité et son audace. » Vierge folle est le dernier roman de l’auteur. La recension parue dans Culture Hebdo se termine avec ces mots : « Nous vous laissons le soin de découvrir la conclusion. Excellent, est un euphémisme. On a adoré. » Ce roman, sans doute le meilleur de l’auteur, s’il a suscité l’enthousiasme de ses lecteurs n’a guère fait l’objet de recensions sérieuses. Pour des recensions sérieuses, il aura fallu attendre l’hiver 2023. Au billet d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie, se sera ajoutée dans Le Devoir une chronique de Louis Cornellier consacrée non pas à un roman ou un recueil, mais à un essai. Le journaliste y salue d’abord le travail entrepris par l’écrivain sur son blogue : « Fin lecteur de poésie, l’écrivain s’y impose comme un critique raffiné, érudit et amical dont le style, limpide et élégant, s’apparente à celui de la conversation relevée. Ces qualités en font une rareté dans le paysage littéraire québécois. » Puis, il rend compte de l’essai : « Dans Le complexe d’Orphée (Nota bene, 2023, 186 pages), l’écrivain se fait plus essayiste que critique en proposant « une manière de promenade » dans laquelle il tente « de saisir la nature de la poésie ». Fidèle à son approche modeste et exploratoire, il déambule en compagnie des poètes et penseurs qu’il aime afin de délimiter son objet, tout en cultivant le souci de ne pas l’enfermer. » Il conclut sa chronique en ces termes : « Partisan des « poèmes limpides » qui disent de « simples vérités », Guénette trouve dans la poésie un antidote « à l’endormissement de [ses] facultés » ou, comme l’écrit Valéry, un discours « chargé de plus de sens, et mêlé de plus de musique, que le langage ordinaire n’en porte et n’en peut porter ». Fénelon aurait aimé ce livre admirable. » La conclusion de l’article d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie était elle aussi plutôt réjouissante : « Romancier accompli (son dernier récit, Vierge folle, est paru en 2021 aux éditions de La Grenouillère), critique littéraire important (son blogue, intitulé Dédé blanc-bec, offre des comptes rendus très étoffés sur des publications québécoises), Daniel Guénette est aussi un poète qui mérite toute notre attention. »

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