Fernand Ouellette : L’Inoubliable — « Chronique II » : Poésie : Éditions de l’Hexagone — Collection L’appel des mots : 2006 : 269 pages

Voici vraiment l’instant du départ,
De l’éveil, du verbe.

Il n’est pas exagéré d’avancer que l’ensemble de l’œuvre poétique de Fernand Ouellette, mais il conviendrait plutôt d’évoquer sa vie tout entière, se déploie sur deux grandes périodes distinctes l’une de l’autre. Un événement central, déterminant et fortement significatif, partage en deux volets l’existence, et de ce fait, la production littéraire de l’écrivain. Ces deux pans de l’œuvre, comme nous le verrons sous peu, sont non seulement marqués dans le temps, mais ils le sont également sur le plan des visées du poète. À ses quêtes premières succédera désormais une seule et essentielle quête, laquelle sera sa dernière. Comme je l’ai mentionné déjà dans de précédents commentaires, cette ligne de partage correspond au passage qui voit Ouellette, poète chrétien, se métamorphoser en chrétien poète. C’est en ces termes que lui-même décrit le poète qu’il fut naguère et celui qu’il est finalement devenu après sa rencontre avec Thérèse de Lisieux. Suite à la publication de Je serai l’Amour, ouvrage dans lequel l’auteur retrace ce que dans le sous-titre il identifie comme ses trajets avec Thérèse, le poète tout d’abord et durant quelques années rédigera essentiellement des essais à caractère religieux ou spirituel. On peut évidemment faire exception du recueil de poèmes qu’est Au delà du passage, mais il me semble que les textes que l’on y voit réunis auraient pour la plupart été écrits peu ou prou avant sa rencontre avec Thérèse, à tout le moins avant la conversion du poète, avant son retour à la pratique religieuse, de sorte qu’après le livre sur Thérèse, c’est avec L’Inoubliable que s’effectue un plus significatif retour à la poésie.

« Chronique II » le confirme amplement. À ce stade-ci de ma recherche, mais ce n’est qu’une intuition, il me semble que la poésie de Fernand Ouellette gagnera en unité ; elle gardera le cap, visera un seul et même point, celui de la rencontre avec l’Unique. Dans son inspiration, le poète ne se laissera plus séduire par certains thèmes qui continueront néanmoins de lui demeurer chers, ne se laissera plus divertir par des intérêts autres que ceux directement liés à sa quête. Si, par exemple, dans Au delà du passage il a pris plaisir à célébrer les peintres et les musiciens qu’il chérit, c’est désormais sans jamais plus s’éloigner des préoccupations dont déjà ce recueil faisait part (avec des poèmes où, comme il l’écrira bientôt dans Autour du temps « la soif de l’Unique » était exprimée) qu’il référera à des sujets connexes, que ce soit la peinture et la musique. Avec le grand cycle de L’Inoubliable s’amorce une entreprise littéraire et spirituelle dont la continuité est franchement remarquable. Cette continuité est telle qu’entre les différents poèmes qu’on rencontre dans cette œuvre les différences sont si peu marquées que l’on pourrait croire que le poète d’un poème à l’autre se répète. C’est que jamais il ne perd de vue le projet qu’il s’est fixé, toujours et constamment il y revient, l’exprime en réaffirmant sa volonté de le mener à terme quelque obstacle que la vie puisse lui opposer.  

Qui se penche sur l’œuvre poétique de Ouellette parue au siècle dernier, tout juste avant la rencontre avec Thérèse, pourrait être frappé par une certaine variété. Le poète, certes, a toujours vécu, écrit et senti au sein d’un univers fortement imprégné par la figure du Christ, ses préoccupations spirituelles ont toujours plus ou moins alimenté ou contrarié ses désirs, sa psyché, son imaginaire, mais il abordait d’autres thèmes, ceux de l’amour et de l’érotisme notamment. De même sur le plan de l’esthétique, un poème de Ouellette pouvait difficilement se confondre avec les poèmes d’un autre écrivain. Les siens, quoiqu’une même voix s’y fît entendre, pouvaient sur le plan formel se distinguer davantage les uns des autres. Une volonté de modernité, de rupture avec un certain ronron poétique jugé par trop suranné, le conduisait-il à expérimenter et à découvrir des formes nouvelles ? Sous l’impulsion d’un Varèse et dans le prolongement de ce qu’avait pu déposer en lui la poésie de Jouve, le « Quatuor climatisé » de Séquences de l’aile et maints poèmes du Soleil sous la mort, je pense, entre autres à « 50 mégatonnes », explorent les diverses avenues que la poésie moderne pouvait alors offrir à un poète et lui inspirer quant à sa propre inventivité. Les poèmes de Ouellette n’allaient évidemment pas dans n’importe quelles directions, mais ceux qu’il produit depuis L’Inoubliable privilégient une seule et même direction ; le poète pour s’engager dans la voie qu’il a choisie a opté pour une écriture dont l’unité est l’une des principales caractéristiques. Il serait certes erroné de dire que son écriture est linéaire ou univoque, elle est plutôt « une », se poursuivant, fidèle à elle-même, fidèle à cette voix dernière que le poète a trouvé dans le prolongement de ses voix premières. C’est une voix qui au fil des poèmes nous devient de plus en plus familière. Même dans ce qu’elle peut avoir parfois de plus étonnant, cette voix nous parle un langage que j’oserais dire clair. Ouellette n’est pas un auteur sibyllin. Bien entendu, sa culture est vaste et il y puise à l’occasion, ce qui risque de déstabiliser certains lecteurs qui manqueront de saisir la portée de références relatives aux peintres et musiciens, ainsi qu’aux figures mythologiques qui émaillent quelques poèmes. Bien sûr, le poète rend compte d’une expérience, d’un parcours qui n’a rien de terre-à-terre. On croira alors que sa poésie est hautement intellectuelle, je dirais plutôt qu’elle est hautement spirituelle. J’ajouterai qu’elle est tout à fait accessible pour peu qu’on se donne la peine de l’entendre et de s’engager, du moins dans la lecture, à la suite du poète en le suivant tout au long de son parcours.

La pratique de Ouellette en est une d’expérience, d’exploration. Chacun de ses poèmes participe d’un même parcours ou à tout le moins le commente, telle une stèle marquant ainsi depuis la station où dans l’écriture se tient le poète une manière de chemin de croix ; chaque poème correspond alors au point où le poète en est dans ses réflexions, dans ses pérégrinations ou avancées dans ce qu’il appelle l’invisible. Les poèmes de Ouellette offrent, partagent cette expérience, de sorte qu’on pourrait entreprendre de rendre compte de ce qu’ils communiquent sans trop s’arrêter à leurs formes, à leur manifestation poétique en tant que poème, — mais cela serait regrettable, puisque l’on perdrait alors une part non négligeable de ce qui en fait le prix, je veux parler de leur qualité éminemment poétique. On pourrait, dis-je, ne pas considérer leur valeur poétique intrinsèque (bien que l’expression poétique soit nécessaire au projet de ce poète et le poème indissociable de sa quête), s’en tenir principalement à son propos, un peu comme s’il s’agissait, avec ce recueil, d’un essai dont il s’agirait d’appréhender la thèse. En ce sens, bien que le verbe du poète ait, comme je viens de le mentionner, partie liée avec son expérience mystique et spirituelle, il serait plus ou moins possible, quoique peu souhaitable, de se montrer attentif en priorité aux « vérités » qu’il dévoile. Ainsi est-il possible de soutenir que Ouellette est un poète du contenu, que ses œuvres poétiques véhiculent des « idées » dont la teneur intellectuelle est manifeste et que l’auteur avec elles propose justement des œuvres reposant sur un impressionnant ensemble de connaissances auxquelles souvent elles réfèrent.

Les poèmes de Ouellette ne font pas que faire part d’une expérience, ne se bornent pas à la communiquer. Ils correspondent à une manière de transposition en mots et en images de ce qui dans cette expérience se révèle intangible, invisible. Ils tournent l’inimaginable en chose imaginée. Ils tournent l’abstrait en concrétude langagière. Cela que l’on ne voit pas, et qui pour le poète ne peut apparaître pleinement que dans l’au-delà, le poète en offre la traduction. L’invisible auquel il aspire, il le perçoit dans les manifestations que çà et là en offre la nature. L’invisible ne sera totalement révélé que lorsque le poète aura accompli l’entièreté de son périple, sera parvenu au terme de sa quête. Pour l’heure, son écriture propose en une série d’images l’équivalent de cet absolu qu’ici-bas représentent à titre d’intermédiaires les phénomènes purement terrestres que sont les arbres, les oiseaux et un peu plus haut, vus de la Terre, les nuages, le bleu du ciel, le soleil et les étoiles. Le poète chemine, hanté par les cimes, voit les aigles qui planent, évoque la figure de Phénix qui chez les chrétiens est le symbole de la résurrection du Christ. Le bleu comme un aimant l’attire. L’atteindre, tel est son but, la fin qu’il s’est fixée.

À l’heure du départ, la fin renouera finalement avec l’origine : « la joie d’origine, / Elle-même songe, miroir du Royaume. » Le Royaume n’advient pleinement qu’à la fin. Cet invisible à nos yeux dans le temps présent, l’origine en est le miroir. Sa lumière s’est manifestée dans la toute petite enfance du naissant. Le poète en a précieusement préservé le souvenir, l’inoubliable souvenir, lumière de la naissance hier, que dans les ténèbres de l’aujourd’hui l’on perçoit pour peu que de proche en proche s’entrouvrent les nuées, lumière que la fin réalisera enfin dans la plénitude de la promesse réalisée. Ainsi le poète évoque-t-il « la clarté qui préfigure / La seule rencontre / Au sortir de la mort. »

Voilà qui pour l’essentiel résume le parcours du poète. Mais résumer ainsi son parcours, c’est oblitérer mille et une nuances qui, poème après poème, témoignent de ses avancées sur la voie que lui, le choisi, a choisie.

Sans répit je cherche le sentier lointain
De celui qui métamorphosait
La montagne, l’enveloppait d’une large rosée
De paroles, comme jadis les choisis
Étaient habillés de lin neigeux …

Si je parle ici du poète en en faisant l’objet d’un choix, c’est que son propre discours m’y autorise. Ne parle-t-il pas dans son recueil des « éveillés » ? Dans le poème « Accalmie », on lit : « Tôt ce qui naît soutient l’espace, / Immense chantier / Où les éveillés puisent / Leurs brillances praticables / Pour le chant, pour la toile ». Le mot « éveillé » apparaît également dans le poème « Domaine du bleu ». Le poète s’est merveilleusement mis en marche dans un paysage mouvant qui lui-même avance dans sa direction en s’ouvrant progressivement sous ses pas, en élargissant les grands pans de lumière que fixe le poète dans le lointain. Il écrit : « Je vais vers ce qui vient vers moi. » Et encore, il « anticipe la venue des gardiens / qui [l’] approchent ». Dans un autre poème, il écrit que son « regard [avait capté] ce qui venait » à sa rencontre. L’on pourrait faire ici un bouquet de citations relatives à ce phénomène de réciprocité. La foi semble fonctionner selon le modèle de l’aimant. Le pèlerin parcourt une voie sur laquelle la lointaine embellie s’ engage à son tour. L’attente active est double, se présente en miroir, en vis-à-vis. Le poète parle d’ «une densité que les gardiens transmettent aux seuls esprits qu’ils convient». Et c’est avec ardeur que le poète attend « ce qui va venir ».  Tout se passe « Comme si la vie en nous / Visait, à sa façon précaire et muette, / Le sommet qui la sollicite. » D’autres passages illustrent cette réciprocité, cet échange. Le poète décrit son parcours comme étant un cheminement « Vers le divin au loin / Qui se tourne / Vers le divin en soi ».  Dans un des tous derniers poèmes du recueil, il est fait mention de « chevaux révélés ». Il est dit qu’ils semblent s’être « rapprochés de nous ». C’est comme si « le feu, par voies subtiles, / Avait trouvé des fissures dans l’intime / À force de viser / Celui qui se tient auprès de l’Unique ».

De même qu’il y a réciprocité sur la voie parcourue par ces deux forces qui s’avancent à la rencontre de l’une de l’autre, on constate parallèlement un phénomène du même ordre. Il s’agit en quelque sorte d’un redoublement à plus grande échelle. La grande boucle du cycle de la vie et de la mort se boucle enfin. Dans la lumière de l’ultime transfiguration, la fin redonne naissance à l’origine. C’est que cela que recherchait le poète correspond à cet inoubliable, à cette première révélation entrevue vaguement par l’enfant, lors même que ses yeux à peine commençaient à s’ouvrir sur le monde. Depuis ce moment premier, il s’agit pour le poète de « retourner vers l’origine ». L’inoubliable correspond, on le voit, à « un souvenir / De la première lumière », et c’est avec cette lumière justement que le poète renouera lorsqu’il naîtra enfin réellement. Dans L’Inoubliable, il se « lance dans une ascension / À nouveau originelle. » Fernand Ouellette a, c’est le moins que l’on puisse dire, de la suite dans les idées. Le dernier poème de son dernier recueil, je parle de Vers l’embellie, commence ainsi : « Maintenant, je fais œuvre de naissance » et se termine sur le vers suivant : « Je vais enfin mourir pour vraiment vivre. » 

De tels vers frappent par leur limpidité. On a dit bien des choses au sujet de la poésie de Ouellette. Comme mentionné ci-haut, on a déclaré qu’elle était fortement intellectuelle. Il est vrai que des subtilités peuvent nous échapper, et pour peu que nous ne soyons pas familiers avec l’univers de la peinture, de la musique, de la littérature profane ou sacrée, le lecteur peut être décontenancé. Tous ne savent pas, je le rappelle, que le phénix est un symbole de la résurrection du Christ. Des références à Élie, Jacob ou d’autres prophètes peuvent n’évoquer rien de précis pour certains lecteurs. De même qui ne fréquente les œuvres de Shumann ou Shubert ne parviendra à saisir la teneur des poèmes où l’auteur évoque leur musique. Connaître le nom et surtout le travail de Brancusi permet de mieux apprécier les vers suivants. 

Le sens de ma vie
Se condense, se lisse,
Comme un bel œuf de bronze
Finement bruni par Brancusi.

Volent de nombreux martinets dans les poèmes de Fernand Ouellette. Or le martinet, chose que j’ignorais, fait bande à part dans la faune ailée. Il est l’oiseau tout indiqué pour accompagner le poète dans ses quêtes ascendantes. On se souvient de l’importance du vertical chez lui. Le martinet, en effet, est un oiseau spécial. Et pour cause, il ne se pose pour ainsi dire jamais sur terre. Il est toujours en vol. Il dort même en très haute altitude. Se repose durant trois secondes, se réveille, donne un battement d’ailes et se rendort. On en voit qui volent ainsi durant plus de six longs mois. Sitôt la nidification terminée, ils repartent de plus belle. Cela paraîtra de l’ordre du détail, mais un tel signe est loin d’être superflu. Ces martinets ajoutent un surcroît de sens aux poèmes qu’ils traversent.

Comme on le voit, la nature occupe une place prépondérante dans l’imaginaire du poète. Elle est intimement liée aux mouvements de son âme. Au même titre que les anges, elle influe sur ses sentiments et les reflète. Elle l’accompagne. Plus que de simples symboles, martinets, aigles, pâquerettes, le fleuve, la mer et les hauts sommets semblent chacun être la chose même. Et c’est alors sur les deux plans (monde réel et monde imaginaire) que se réalisent les phénomènes décrits par le poète : « un simple rai / […] délicatement se fraie une voie / Vers le fond de l’œil », atteignant l’âme et la soignant tel un baume pacificateur, apaisant. Voir le poète en marche sur la voie, buter contre des obstacles, pierres entravant sa route, le voir gravir les monts, couvrir de son regard qui l’embrasse le large horizon où se dessine enfin l’embellie, tout cela perçu d’abord comme images renvoie à une réalité intérieure et la traduit de manière si idoine qu’on dirait, encore une fois, le symbole être la chose même. Telle est la force du poétique, où la métaphore bien entendu n’en demeure pas moins métaphore. Lorsque des « piquants de chardons » blessent le pèlerin, c’est son âme qui est atteinte et non son pauvre corps. À dire vrai, la plupart des tropes chez Ouellette sont plutôt saisissants. Je ne parle bien sûr pas de ceux qui apparaissent tout au long de son parcours et avec lesquels la plupart de ses recueils nous ont familiarisés. Nulle surprise de voir apparaître çà et là le bleu, l’oiseau, le sommet et les heures, nous percevons aisément à travers ces images le propos de l’auteur et nous prenons du reste un certain plaisir à les retrouver et à les voir former ensemble de vastes réseaux de sens. Il se glisse au milieu de ces images récurrentes de nouvelles manières d’en jouer et de veiller à leur harmonisation, à quoi s’ajoutent des trouvailles, des manières de dire dont la poéticité a de quoi émerveiller.

Un jour je regarderai la mort crue,
Après beaucoup de périples,
Avec un regard ébloui, certes,
Mais sans avoir pu retenir
Au creux de la main
Le moindre bruissement de torrent,
La poussière du papillon
Qui l’a frôlé.
Ni surtout la petite grappe d’étincelles
Que j’ai cru, dans un moment de songe,
Avoir dérobé à la mer.

Ouellette, à l’instar d’un Baudelaire est aussi le poète de la synesthésie. Chez lui, « fauvettes et cardinaux / Trouvent enfin le son de leur teinture. » Mais, point commun plus significatif, un fort écart chez ces deux poètes se creuse entre leurs rêves et la réalité. Si le Spleen et l’Idéal baudelairiens sont moins chargés de mysticisme, ils n’en recouvrent pas moins une opposition qui est du même ordre que celle que l’on rencontre chez Ouellette. L’azur hantait un Mallarmé tout comme il avait tourmenté Baudelaire. Ces poètes aspiraient à l’élévation. On sait l’importance de la verticalité chez Ouellette. Elle s’oppose à l’horizontalité d’une vie terre-à-terre vécue à ras le sol. Le poète évoque un « désaccord avec un réel / Qui se manifeste par saccades », il chemine « dans l’intemporel ». C’est que pour lui « le terrestre est livré / À la cupidité ». Ici-bas se manifestent enfin les forces adverses qui entravent son parcours, contrarient sa volonté d’élévation, son espérance : le « trompe-l’œil », les « chimères » les « leurres », les « défiguration », les « déguisements » et autres « mirages ». On verra le poète se retirer, prendre ses distances d’avec cela même qui l’exclut, car il devient en quelque sorte l’étranger : « Pour qui me croise, / Je suis un étrange illuminé, / Sans besogne, / Hors d’un temps / Qui fait fi de l’innocence / Et des musiques inaudibles, Des évocations de ce qui veut naître. » Ainsi « Tout se moque / Du rêveur qui vacille » ; cela n’est pas sans faire songer à l’albatros baudelairien que tiraillent les matelots. Néanmoins, le poète poursuit son périple « à contre-courant, / Même parmi les aboyeurs » qui le ridiculisent.

Ainsi libéré il monte en ravissement,
S’éloigne déjà ébloui,
Malgré le péril
Incessant des flèches
Et des sarcasmes.

En raison de l’hostilité que représentent les forces adverses, le poète « repousse l’atroce », s’avance comme nous l’avons vu dans la direction de ce qui vient vers lui, semble s’éloigner de ses contemporains, se ferme « aux comédies, / Aux humours grotesques. » Il affirme se tenir « à l’écart / Des trouvailles fugaces ». Il tente par tous les moyens de se dégager de la « nappe de brouillard » qui l’enveloppe, qui l’emmure, risquant ainsi de maintenir son esprit captif dans les tenailles du terrestre. Le monde dans sa matérialité contraignante, dans son étroitesse (le mot revient à plusieurs reprises dans L’Inoubliable) multiplie les obstacles dressés sur le parcours du poète qui, « solitaire […] se retire des heures » afin de retrouver « la source », de rouvrir « l’intemporel / Qui seul permet de passer du corps / À l’adoration. »

Aussi, même si nous sommes momentanément
Un peu aveugles,
Le brasier ne s’en déploie pas moins au loin :
Sa véritable absence serait inimaginable …

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Auteur : Daniel Guénette

Né le 21 mai 1952, Daniel Guénette est originaire de Montréal. Il a vécu la majeure partie de son existence dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Après des études en lettres à l’Université de Montréal, où il obtient un diplôme de maîtrise en création littéraire, il enseigne la littérature au cégep de Granby. En 2011, il prend sa retraite après 34 années d’enseignement. À l’aube de la soixantaine, il renoue avec l’écriture qu’il avait cessé de pratiquer durant près de vingt ans. Il publie chez Triptyque deux recueils de poésie, Traité de l’Incertain en 2013 et Carmen quadratum en 2016, ainsi qu’un récit, L’École des Chiens, en 2015. Dans son œuvre antérieure alternaient ouvrages de poésie (3 titres au Noroît, 2 chez Triptyque) et productions romanesques (3 titres chez Triptyque). Ces ouvrages furent publiés entre 1985 et 1996. L’ensemble fut bien reçu par la critique. À l’occasion du vingtième anniversaire des éditions Triptyque, feu Réginald Martel écrivait : « Et on soupçonne que bien des éditeurs seraient ravis d’inscrire à leur catalogue, parmi quelques auteurs de Triptyque, le nom d’un Daniel Guénette, par exemple. » J. Desraspes a enchanté Jean-Roch Boivin : « Ce roman est un délicieux apéritif, robuste et délicat, son auteur un écrivain de talent et de grands moyens. » Réginald Martel parle d’un roman « qu’on dévore sans reprendre son souffle » ; il salue également la parution des romans qui suivent, se montrant surtout favorable à L’écharpe d’Iris. Pierre Salducci écrit dans Le Devoir un article élogieux sur ce roman : « L’écharpe d’Iris est une réussite, une petite musique qui nous parle de la nature humaine et qu’on n’arrive pas à oublier. Un roman magnifique, un vrai. Pas un phénomène de mode. Pas un produit branché et périssable. Mais de la littérature. Tout simplement. » L’École des Chiens, qui en 2015 marque le retour de l’auteur au récit, a été commentée par divers blogueurs, dont le poète Jacques Gauthier : « Ce beau récit du poète Daniel Guénette évoque, avec pudeur et humilité, les onze années vécues auprès de Max qu’il a dû faire euthanasier à cause d’un cancer. Ils sont rares de tels livres qui traitent si tendrement de la relation entre un homme et son animal de compagnie. Ça parle de vie et de mort, d’attachement et d’amitié, d’enfance et de solitude. » Pour sa part, Topinambulle écrit : « Dans ce très beau récit, un homme apprivoise doucement le deuil de son chien. À la manière de Rousseau, Daniel Guénette nous invite à le suivre dans ses promenades, dans les méandres de ses souvenirs, où l'évocation de l'ami fidèle nous servira de guide. ». Dominic Tardif, dans Le Devoir, 4 juillet 2015 a rendu compte chaleureusement de L’école des chiens. Il a souligné qu’avec ce récit, l’auteur avait produit « de la vraie littérature » : « Plus qu’un livre sur un maître et son animal, L’école des chiens célèbre le pouvoir de l’écriture qui, chez Daniel Guénette, n’aspire pas à remplacer l’en allé, mais bien à en continuer la vie. » Recommandé avec enthousiasme à ses téléspectateurs, L’école des chiens a fait l’objet d’un échange de cadeaux à l’émission LIRE présentée sur ARTV. À partir de 1975, l’auteur a collaboré à diverses revues de littérature à titre de poète et de critique. On a pu lire ses recensions dans la revue Mœbius. Pour l’une d’elles, l’auteur a été finaliste au Prix d’excellence de la SODEP 2016, dans la catégorie Texte d’opinion critique sur une œuvre littéraire ou artistique. Plus récemment, l’auteur a publié deux nouveaux titres en poésie, Varia au Noroît en 2018 et, à l’hiver 2023, La châtaigneraie aux Éditions de la Grenouillère. Pour ce recueil, le poète a été finaliste au Prix d’excellence du webmagazine La Métropole. Dans la recension que réserve à cet ouvrage la revue LQ, le critique Antoine Boisclair écrit: « Ce recueil émouvant, très maîtrisé du point de vue formel, témoigne d’un savoir-faire indéniable. » Le critique et poète français Pierre Perrin écrit dans sa revue trimestrielle de littérature, la revue française « Possibles », ne pas confondre avec la revue québécoise du même nom : « Daniel Guénette a le vers sûr, souvent proche de l’alexandrin, parfois très bref. Il sait restituer une vie, avec sa foudre, ses éclairs, et les moments de calme, voire de communion. La Châtaigneraie constitue un beau recueil presque filial. » Pour sa part, dans Le Ou'tam’si magazine, Nathasha Pemba déclare que « La châtaigneraie est un recueil de poésie qui a l’allure d’un hommage, d’un renouvellement du contrat amical. C’est une poésie ontologique qui va au fond des choses pour faire émerger l’être. Daniel Guénette une fois plus confirme qu’il est poète, le poète de l’amitié, le poète de l’altérité, le poète de l’éternité. » Outre ces recueils de poésie, l’auteur fait paraître quelques nouveaux romans. De Miron, Breton et le mythomane, paru en 2017 à La Grenouillère, Dominic Tardif écrit dans Le Devoir : « Chronique des glorioles imaginaires d’un grand taquin aimant (se) conter des histoires et fabuler une légendaire vie d’aventures, Miron, Breton et le mythomane est le carton d’invitation d’une fête organisée en l’honneur du mensonge auquel s’abreuve n’importe quelle forme de littérature digne de ce nom. » Pour sa part, Dédé blanc-bec reçoit dans Nuit Blanche un commentaire signé Gaétan Bélanger : « Le ton poétique empreint d’humour et de nostalgie adopté par l’auteur rend extrêmement agréable la lecture de ce roman émouvant. Il faut préciser que, tout d’abord, il est un peu déroutant de suivre les bonds fréquents de la narration dans le temps. Plus que de simples digressions, elles donnent parfois l’impression que l’auteur saute du coq à l’âne pour revenir aux mêmes événements, observés sous un angle différent. Mais on s’habitue vite à cette manière ou à ce style et on l’apprécie pour son originalité. Voilà donc un roman au texte minutieusement poli et se démarquant par sa qualité et son audace. » Vierge folle est le dernier roman de l’auteur. La recension parue dans Culture Hebdo se termine avec ces mots : « Nous vous laissons le soin de découvrir la conclusion. Excellent, est un euphémisme. On a adoré. » Ce roman, sans doute le meilleur de l’auteur, s’il a suscité l’enthousiasme de ses lecteurs n’a guère fait l’objet de recensions sérieuses. Pour des recensions sérieuses, il aura fallu attendre l’hiver 2023. Au billet d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie, se sera ajoutée dans Le Devoir une chronique de Louis Cornellier consacrée non pas à un roman ou un recueil, mais à un essai. Le journaliste y salue d’abord le travail entrepris par l’écrivain sur son blogue : « Fin lecteur de poésie, l’écrivain s’y impose comme un critique raffiné, érudit et amical dont le style, limpide et élégant, s’apparente à celui de la conversation relevée. Ces qualités en font une rareté dans le paysage littéraire québécois. » Puis, il rend compte de l’essai : « Dans Le complexe d’Orphée (Nota bene, 2023, 186 pages), l’écrivain se fait plus essayiste que critique en proposant « une manière de promenade » dans laquelle il tente « de saisir la nature de la poésie ». Fidèle à son approche modeste et exploratoire, il déambule en compagnie des poètes et penseurs qu’il aime afin de délimiter son objet, tout en cultivant le souci de ne pas l’enfermer. » Il conclut sa chronique en ces termes : « Partisan des « poèmes limpides » qui disent de « simples vérités », Guénette trouve dans la poésie un antidote « à l’endormissement de [ses] facultés » ou, comme l’écrit Valéry, un discours « chargé de plus de sens, et mêlé de plus de musique, que le langage ordinaire n’en porte et n’en peut porter ». Fénelon aurait aimé ce livre admirable. » La conclusion de l’article d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie était elle aussi plutôt réjouissante : « Romancier accompli (son dernier récit, Vierge folle, est paru en 2021 aux éditions de La Grenouillère), critique littéraire important (son blogue, intitulé Dédé blanc-bec, offre des comptes rendus très étoffés sur des publications québécoises), Daniel Guénette est aussi un poète qui mérite toute notre attention. »

15 réflexions sur « Fernand Ouellette : L’Inoubliable — « Chronique II » : Poésie : Éditions de l’Hexagone — Collection L’appel des mots : 2006 : 269 pages »

  1. Ce commentaire de l’oeuvre de Fernand Ouellet, documenté, généreux nous permet d’éclairer davantage les subtilités de ce poète . Comme toujours André Guenette sait aller dans les profondeurs d’une oeuve dans le respect et l’amour de cette dernière.

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    1. Merci Monique. Vos bons mots m’encouragent. Je dois cependant vous corriger. Le poète se nomme Ouellette et le commentaire est signé par Daniel et non André. Ces petits détails ne sont pas très importants ; ils n’enlèvent rien à la générosité que vous témoignez à l’endroit du poète et de son lecteur. Portez-vous bien et merci de me lire et de commenter mes textes.

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  2. «Les poèmes de Ouellette ne font pas que faire part d’une expérience, ne se bornent pas à la communiquer. Ils correspondent à une manière de transposition en mots et en images de ce qui dans cette expérience se révèle intangible, invisible. Ils tournent l’inimaginable en chose imaginée. Ils tournent l’abstrait en concrétude langagière. Cela que l’on ne voit pas, et qui pour le poète ne peut apparaître pleinement que dans l’au-delà, le poète en offre la traduction.»
    Difficile de rendre un plus bel hommage à ce poète de la foi en l’au-delà.

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      1. Allo Daniel,

        Une autre remarquable contribution sur l’œuvre de ce grand poète québécois dont tu es maintenant assurément l’expert international!

        Bonne journée.

        Laurent

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      2. J’accepterai peut-être dans quatre ou cinq ans ce titre d' »expert », mais j’y mettrai alors une tonne de bémols. Tu auras compris que ce compliment pour l’instant est une très lourde hyperbole. Quand j’aurai mis le point final à l’essai que je projette d’écrire sur F.O., là, oui, disons que j’aurai modestement contribué au portrait du poète qu’ont déjà entrepris Paul-Chanel Malenfant, Pierre Nepveu et Denise Brassard — pour ne nommer que ces véritables experts de l’œuvre de F.O.

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