Louis-Philippe Hébert : Le meilleur tour de magie de David Cloverfield : roman : Lévesque éditeur : 2022 : 360 pages

Un roman ressemble toujours plus ou moins à un tour de magie. L’un et l’autre produisent des illusions, ayant affaire avec le vrai et le faux, le réel et l’imaginaire. En un sens, le romancier en racontant une histoire réalise à sa manière un tour de magie. Il fait apparaître sous les yeux de ses lecteurs un monde dont la substance est illusoire, l’histoire qu’il raconte ne se concrétisant qu’en vertu de la crédulité, de la bonne foi, de la complicité du lecteur, lequel a tôt fait d’abandonner à l’illusionniste une part de sa raison face à qu’il sait n’être qu’une représentation, une manière de spectacle, un miroir de la réalité. Mais si quelque chose distingue profondément la magie de l’art romanesque, c’est peut-être surtout l’aspect symbolique inhérent au second. On peut peiner à identifier le propos d’un roman, mais il est rare qu’il brille par son absence. Les romanciers semblent généralement avoir quelque chose à dire. Du moins, cela paraît-il souhaitable. Il leur arrive de ne pas savoir ce qu’ils disent, d’ignorer ce que leur œuvre peut signifier, mais leur magie n’est jamais totalement dépourvue de significations. Elle rime à quelque chose. Si bien que, outre l’intérêt premier que l’on trouve aux histoires racontées, à l’art qui s’y déploie à travers le mot à mot de la phrase, dans la structure du récit, dans l’enchaînement des péripéties, que l’on soit ou non tenu en haleine par celles-ci, quelque chose dans un roman relève de ce que l’on appelle une vision du monde, en quoi réside essentiellement ou presque la portée d’une œuvre, limon résiduel déposé dans l’âme du lecteur, agrégat d’impressions qui le hanteront longtemps après que le roman ait été lu.  

Un tour de magie titille notre curiosité. On s’interroge. Comment cela est-il « fait » ? En quoi consiste le truc ? Une fois passé l’émerveillement, on voudrait comprendre.

On peut également vouloir scruter le mode de conception d’un roman, tenter de s’immiscer dans ses arcanes, se montrer attentif à son mode de fabrication. Mais au-delà des manœuvres du romancier, on cherche à interpréter ce qu’il a produit. Quitte à jongler encore et toujours avec de nouvelles interrogations, qui souvent resteront sans réponse.

Très tôt, lisant Le meilleur tour de magie de David Cloverfield, l’on songe que ce roman fort étonnant procède sûrement de l’allégorie. On a dit de La peste de Camus qu’elle consistait en une allégorie. Qu’elle devait être lue au second degré, qu’elle traitait de la résistance en temps de guerre, qu’elle renvoyait à celle dont venaient tout juste de sortir Camus et ses contemporains. Puis, lors de la récente pandémie, voilà qu’on se mit à la relire, cette fois en la prenant au pied de la lettre. On en fit un nouvel usage. L’interprétation la fit passer de l’allégorie au récit réaliste. D’ordinaire, on reconnaît l’allégorie entre autres au fait qu’elle est tirée par les cheveux ; elle s’apparente davantage au merveilleux qu’à la banale réalité de tous les jours. C’est qu’elle symbolise. Une chose est certaine, même si le dernier roman de Louis-Philippe Hébert est par endroits criant de réalisme, l’action qui s’y déroule sort tout à fait de l’ordinaire, au point où l’on croira être en droit de parler à son sujet non pas de merveilleux, comme on en voit dans les contes, mais de fantastique, comme il s’en trouve chez un Edgar Allen Poe, quoiqu’il serait sans doute plus juste d’évoquer la figure d’un Franz Kafka ou, osons-le dire tout simplement, celle de notre auteur lui-même, tant sa démarche est originale.

En nous plongeant dans le monde parallèle où sont précipités les personnages victimes du tour de Cloverfield — le magicien les fait disparaître —, l’auteur nous les montre dans le lieu même de leur séquestration. Il y a là un mystère assez inquiétant. En effet, où donc vont se loger les objets, ici les personnes, lorsque les magiciens les font disparaître ? Ce lieu, où qu’il se trouve, il se pourrait bien, dans le cas qui nous intéresse, qu’il ne se situe nulle part ailleurs que dans les pages de ce roman. Je hasarde cette hypothèse et suis immédiatement conduit à me dédire, à la rejeter, à penser que tout ce qui se passe dans cette histoire ne trouve finalement place et ne se produit que dans la tête du personnage principal. Mais, allez savoir ! Hébert est un magicien qui a plus d’un tour dans son sac.

Il faut ici s’abandonner, comme on le fait dans un spectacle de variétés, céder la gouverne des opérations à l’auteur, entrer dans son jeu, lire d’abord son histoire au premier degré. La chose en soi se suffit à elle-même. On la lit avec plaisir. Elle sort de l’ordinaire, et cela est plutôt paradoxal, puisque son protagoniste est un être en apparence plutôt ordinaire. Rarement les romanciers parviennent-ils à intéresser leurs lecteurs et lectrices avec des héros aussi ternes, des types à qui il n’arrive strictement rien, dont le quotidien est fait de répétitions, des individus qui cherchent désespérément à se tenir à l’écart de tout mouvement, à se prémunir de tout accident, de tout événement. Il y a donc ce personnage, Grégoire Gavier, un bonhomme qui sort de l’ordinaire à force d’être si ordinaire, de s’effacer. Il est un être voué de naissance à la disparition. Le faire disparaître sur la scène de la Place des Arts, cela va comme de soi.

En résumé, voici la trame du roman. Grégoire reçoit un billet par la poste, gracieuseté du magicien. Il est invité au spectacle de magie de David Cloverfield. Il hésite à rompre sa routine. Notre fonctionnaire, il travaille à la SAAQ, choisit finalement d’honorer cette invitation. Mal lui en prend. Lui, timoré, homme invisible de nature, timidement enfoncé dans son siège, se trouve bientôt contraint de l’abandonner pour monter sur scène à bord d’un minibus. En comptant le chauffeur, ils sont bientôt douze à bord de ce petit engin. On aura compris que le tour de Cloverfield consiste à faire disparaître tout ce beau monde. En un temps deux mouvements, la chose est faite. Voici la petite équipée plongée dans la plus totale et terrifiante obscurité, au milieu de nulle part. Enfermée dans une temporalité où le temps lui-même ne passe plus. Enfermée comme à l’intérieur d’une bille. Bien entendu ce qui semble devoir durer toujours, cet arrêt de tout où eux s’interrogent et désespèrent — les a-t-on oubliés ? — tout cela finit par finir lorsque finalement David Cloverfield, mais cela prendra plus de trois cents pages, les ramène au grand jour. Fin du spectacle ! Fin du roman.

Eh bien ! se dira-t-on, c’est tout ?

Évidemment non. Entre la première et la dernière page, il y a tout un monde, toute une vie. Ça grouille terriblement. Et tout se passe, me semble-t-il, entre deux oreilles, dans la pensée où se déroule toute une vie, celle de Grégoire. Réfractaire à tout, fuyant tout contact avec les autres — il ne veut toucher personne, être touché par personne — il est une sorte d’autiste de très haut niveau. Durant l’éternité de son enferment au creux de la nuit où l’a projeté le magicien, il est amené à remonter le fil de sa vie jusqu’à sa petite enfance, à la revivre, comme l’on dit que cela se produit lorsqu’une vie se résume et se consume. Dans cette obscurité se produit un étrange phénomène, tout se passe comme s’il entreprenait une thérapie en mode condensé, il fait des liens entre ce qu’il est et ce qu’il a été.

Ainsi revivons-nous avec Grégoire les grands moments de son existence. À commencer par ceux qui n’ont rien de très particulier, c’est-à-dire ceux qui meublent si pauvrement sa vie de fonctionnaire. Tout au long du roman, nous serons ramenés à l’univers de la SAAQ. Des liens seront faits entre la situation où se trouvent les douze captifs et celle où manœuvrent Grégoire et ses compagnons de travail. Une part de l’intérêt que représente la lecture du roman réside dans ces liens.

Des scènes fondamentales ont marqué le jeune Grégoire, enfant, puis adolescent et jeune adulte. À elles seules, elles valent le détour, étant chacune comme autant de perles que pourrait en receler une huître magique ou plutôt des billes — qui lira verra l’importance que revêtent celles-ci pour Grégoire. Ces moments constituent les temps forts non seulement de l’existence de Grégoire, mais également ceux du roman lui-même. Au sein du grand récit, celui où plus rien ne se passe, on aura compris que ces passages brillent en quelque sorte d’une lumière éclairant tout le récit, donnant du sens à la grande noirceur où Grégoire et ses acolytes ont été plongés par le magicien.

Ces scènes, j’insiste, sont enlevantes. Elles relèvent du grand art. Il y a eu dans l’enfance de Grégoire une explosion. Le pire a été évité de justesse. On assiste à cet accident. Ce que raconte l’auteur est alors saisissant de réalisme. Le paranormal, si l’on peut user ici de ce terme, se trouve être la chose la plus normale qui soit. Contrairement aux opérations magiques reposant sur l’illusion, celles qui animent la psyché entretiennent, évidemment de manière surréelle, des rapports avec la réalité et ne la faussent en rien, ne la trafiquent pas de manière substantielle.

Telle est la vérité des songes, telle est la vérité que sondent les mensonges romanesques.

Le mensonge romanesque révèle des vérités. Chez Hébert, il le fait dans le moindre détail. Ainsi rencontre-t-on dans l’histoire qu’il nous raconte des passages de discours à l’état brut, qui se détachent du récit tout en s’y rattachant de manière à former des énoncés lapidaires, possédant leur valeur propre, sorte d’aphorismes. On voit çà et là des observations, des remarques du narrateur qui donnent à réfléchir : « Il n’ignorait pas à cette époque qu’on créait une fiction toujours autour ou tout juste à côté de ce qu’on voulait être. Comme on écrit toujours autour ou tout juste à côté de ce qu’on voudrait écrire. » : « Chaque fois qu’il parle, il apprend un peu plus à se taire. » : « Comme tout le monde, mais sans avoir à passer par une expérience conjugale, sa vie finit par devenir une routine. » : « C’est à la mère que l’on doit l’origine de la fiction. » : « Mais c’est le propre des grands artistes comme des grands écrivains de reprendre ce qui serait une banalité et de transformer cette banalité en miracle. » :  « À force de vouloir voir, ils finissaient par voir n’importe quoi. » Cette dernière phrase, dans le contexte où elle se trouve, incite à croire que l’histoire de Grégoire est comme je l’ai mentionné une allégorie, qu’elle doit être interprétée, et que son interprétation sans doute saura varier d’un lecteur à l’autre.

Puis on lit ceci : « Comme s’il y avait quelque chose à comprendre. » Mais c’est de la vie qu’il est ici question. Doit-on chercher à y comprendre quelque chose ? Ce roman, on le voit, n’est pas étranger à des questionnements d’ordre philosophique. Et plus loin, alors que les passagers de l’autobus dit « l’Autobus de l’enfer » désespèrent d’être plongés dans le noir absolu, apparaît au-dessus d’eux un énigmatique point blanc, comme une étoile, qui n’est pas sans faire songer à celle des Rois mages, enfin, c’est un point, une hallucination peut-être : « À force de vouloir voir, ils finissaient par voir n’importe quoi ». Ce point blanc s’apparente à une lueur d’espoir. Dieu ? Enfin ! Il y a ici une allégorie si l’on veut, dans laquelle on verra ce qu’on voudra, mais certes, ce ne sera pas n’importe quoi.

Voilà ! Cette trop brève présentation est loin de rendre justice à cet imposant roman. Je laisse délibérément en suspens des subtilités (il eût fallu parler du narrateur : il montre le bout du nez çà et là dans le récit, mais ne se manifeste pleinement qu’à la toute fin du roman, nous faisant alors comprendre qu’en disparaissant Grégoire a entamé une véritable plongée au cœur de son enfance ; je parlais ci-haut d’une analyse, d’une manière de psychanalyse. J’ai négligé non sans regret quantité d’aspects traités dans ce roman. On ne peut pas tout dire.

Je tiens cependant à souligner la qualité de l’écriture de Louis-Philippe Hébert, dont le style est remarquable, un Flaubert l’adouberait. J’admire également l’étonnante précision du lexique de l’auteur, à croire que tout comme son personnage, il est une manière de savant. Peu d’écrivains savent décrire avec autant d’acuité le monde réel et les objets qui s’y rencontrent. Hébert se montre habile à décrire les choses autrement que de manière impressionniste : « Un briquet ! La forme oblongue du réservoir. La petite palette. Le rouleau texturé pour le pouce. La meule frottant sur la pierre à feu. » 

Il se pourrait que Le meilleur tour de magie de David Cloverfield soit le meilleur roman de Louis-Philippe Hébert. L’auteur n’a sans doute pas encore dit son dernier mot. Il nous réserve peut-être d’autres prestidigitations romanesques tout aussi savoureuses. Espérons-le.

Avatar de Inconnu

Auteur : Daniel Guénette

Né le 21 mai 1952, Daniel Guénette est originaire de Montréal. Il a vécu la majeure partie de son existence dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Après des études en lettres à l’Université de Montréal, où il obtient un diplôme de maîtrise en création littéraire, il enseigne la littérature au cégep de Granby. En 2011, il prend sa retraite après 34 années d’enseignement. À l’aube de la soixantaine, il renoue avec l’écriture qu’il avait cessé de pratiquer durant près de vingt ans. Il publie chez Triptyque deux recueils de poésie, Traité de l’Incertain en 2013 et Carmen quadratum en 2016, ainsi qu’un récit, L’École des Chiens, en 2015. Dans son œuvre antérieure alternaient ouvrages de poésie (3 titres au Noroît, 2 chez Triptyque) et productions romanesques (3 titres chez Triptyque). Ces ouvrages furent publiés entre 1985 et 1996. L’ensemble fut bien reçu par la critique. À l’occasion du vingtième anniversaire des éditions Triptyque, feu Réginald Martel écrivait : « Et on soupçonne que bien des éditeurs seraient ravis d’inscrire à leur catalogue, parmi quelques auteurs de Triptyque, le nom d’un Daniel Guénette, par exemple. » J. Desraspes a enchanté Jean-Roch Boivin : « Ce roman est un délicieux apéritif, robuste et délicat, son auteur un écrivain de talent et de grands moyens. » Réginald Martel parle d’un roman « qu’on dévore sans reprendre son souffle » ; il salue également la parution des romans qui suivent, se montrant surtout favorable à L’écharpe d’Iris. Pierre Salducci écrit dans Le Devoir un article élogieux sur ce roman : « L’écharpe d’Iris est une réussite, une petite musique qui nous parle de la nature humaine et qu’on n’arrive pas à oublier. Un roman magnifique, un vrai. Pas un phénomène de mode. Pas un produit branché et périssable. Mais de la littérature. Tout simplement. » L’École des Chiens, qui en 2015 marque le retour de l’auteur au récit, a été commentée par divers blogueurs, dont le poète Jacques Gauthier : « Ce beau récit du poète Daniel Guénette évoque, avec pudeur et humilité, les onze années vécues auprès de Max qu’il a dû faire euthanasier à cause d’un cancer. Ils sont rares de tels livres qui traitent si tendrement de la relation entre un homme et son animal de compagnie. Ça parle de vie et de mort, d’attachement et d’amitié, d’enfance et de solitude. » Pour sa part, Topinambulle écrit : « Dans ce très beau récit, un homme apprivoise doucement le deuil de son chien. À la manière de Rousseau, Daniel Guénette nous invite à le suivre dans ses promenades, dans les méandres de ses souvenirs, où l'évocation de l'ami fidèle nous servira de guide. ». Dominic Tardif, dans Le Devoir, 4 juillet 2015 a rendu compte chaleureusement de L’école des chiens. Il a souligné qu’avec ce récit, l’auteur avait produit « de la vraie littérature » : « Plus qu’un livre sur un maître et son animal, L’école des chiens célèbre le pouvoir de l’écriture qui, chez Daniel Guénette, n’aspire pas à remplacer l’en allé, mais bien à en continuer la vie. » Recommandé avec enthousiasme à ses téléspectateurs, L’école des chiens a fait l’objet d’un échange de cadeaux à l’émission LIRE présentée sur ARTV. À partir de 1975, l’auteur a collaboré à diverses revues de littérature à titre de poète et de critique. On a pu lire ses recensions dans la revue Mœbius. Pour l’une d’elles, l’auteur a été finaliste au Prix d’excellence de la SODEP 2016, dans la catégorie Texte d’opinion critique sur une œuvre littéraire ou artistique. Plus récemment, l’auteur a publié deux nouveaux titres en poésie, Varia au Noroît en 2018 et, à l’hiver 2023, La châtaigneraie aux Éditions de la Grenouillère. Pour ce recueil, le poète a été finaliste au Prix d’excellence du webmagazine La Métropole. Dans la recension que réserve à cet ouvrage la revue LQ, le critique Antoine Boisclair écrit: « Ce recueil émouvant, très maîtrisé du point de vue formel, témoigne d’un savoir-faire indéniable. » Le critique et poète français Pierre Perrin écrit dans sa revue trimestrielle de littérature, la revue française « Possibles », ne pas confondre avec la revue québécoise du même nom : « Daniel Guénette a le vers sûr, souvent proche de l’alexandrin, parfois très bref. Il sait restituer une vie, avec sa foudre, ses éclairs, et les moments de calme, voire de communion. La Châtaigneraie constitue un beau recueil presque filial. » Pour sa part, dans Le Ou'tam’si magazine, Nathasha Pemba déclare que « La châtaigneraie est un recueil de poésie qui a l’allure d’un hommage, d’un renouvellement du contrat amical. C’est une poésie ontologique qui va au fond des choses pour faire émerger l’être. Daniel Guénette une fois plus confirme qu’il est poète, le poète de l’amitié, le poète de l’altérité, le poète de l’éternité. » Outre ces recueils de poésie, l’auteur fait paraître quelques nouveaux romans. De Miron, Breton et le mythomane, paru en 2017 à La Grenouillère, Dominic Tardif écrit dans Le Devoir : « Chronique des glorioles imaginaires d’un grand taquin aimant (se) conter des histoires et fabuler une légendaire vie d’aventures, Miron, Breton et le mythomane est le carton d’invitation d’une fête organisée en l’honneur du mensonge auquel s’abreuve n’importe quelle forme de littérature digne de ce nom. » Pour sa part, Dédé blanc-bec reçoit dans Nuit Blanche un commentaire signé Gaétan Bélanger : « Le ton poétique empreint d’humour et de nostalgie adopté par l’auteur rend extrêmement agréable la lecture de ce roman émouvant. Il faut préciser que, tout d’abord, il est un peu déroutant de suivre les bonds fréquents de la narration dans le temps. Plus que de simples digressions, elles donnent parfois l’impression que l’auteur saute du coq à l’âne pour revenir aux mêmes événements, observés sous un angle différent. Mais on s’habitue vite à cette manière ou à ce style et on l’apprécie pour son originalité. Voilà donc un roman au texte minutieusement poli et se démarquant par sa qualité et son audace. » Vierge folle est le dernier roman de l’auteur. La recension parue dans Culture Hebdo se termine avec ces mots : « Nous vous laissons le soin de découvrir la conclusion. Excellent, est un euphémisme. On a adoré. » Ce roman, sans doute le meilleur de l’auteur, s’il a suscité l’enthousiasme de ses lecteurs n’a guère fait l’objet de recensions sérieuses. Pour des recensions sérieuses, il aura fallu attendre l’hiver 2023. Au billet d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie, se sera ajoutée dans Le Devoir une chronique de Louis Cornellier consacrée non pas à un roman ou un recueil, mais à un essai. Le journaliste y salue d’abord le travail entrepris par l’écrivain sur son blogue : « Fin lecteur de poésie, l’écrivain s’y impose comme un critique raffiné, érudit et amical dont le style, limpide et élégant, s’apparente à celui de la conversation relevée. Ces qualités en font une rareté dans le paysage littéraire québécois. » Puis, il rend compte de l’essai : « Dans Le complexe d’Orphée (Nota bene, 2023, 186 pages), l’écrivain se fait plus essayiste que critique en proposant « une manière de promenade » dans laquelle il tente « de saisir la nature de la poésie ». Fidèle à son approche modeste et exploratoire, il déambule en compagnie des poètes et penseurs qu’il aime afin de délimiter son objet, tout en cultivant le souci de ne pas l’enfermer. » Il conclut sa chronique en ces termes : « Partisan des « poèmes limpides » qui disent de « simples vérités », Guénette trouve dans la poésie un antidote « à l’endormissement de [ses] facultés » ou, comme l’écrit Valéry, un discours « chargé de plus de sens, et mêlé de plus de musique, que le langage ordinaire n’en porte et n’en peut porter ». Fénelon aurait aimé ce livre admirable. » La conclusion de l’article d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie était elle aussi plutôt réjouissante : « Romancier accompli (son dernier récit, Vierge folle, est paru en 2021 aux éditions de La Grenouillère), critique littéraire important (son blogue, intitulé Dédé blanc-bec, offre des comptes rendus très étoffés sur des publications québécoises), Daniel Guénette est aussi un poète qui mérite toute notre attention. »

4 réflexions sur « Louis-Philippe Hébert : Le meilleur tour de magie de David Cloverfield : roman : Lévesque éditeur : 2022 : 360 pages »

    1. Lire ce roman, c’est entrer dans la tête d’un type qui sort de l’ordinaire. Hébert est un artiste de haut niveau. Il ne travaille pas dans l’émotion (la sensiblerie), mais dans la psyché, il cherche à atteindre le feu central, le cœur du problème de son protagoniste. Bonne lecture !

      J’aime

  1. Bonjour Daniel,

    Il me semble que la similitude entre le tour de magie et un roman peut aussi s’appliquer à un poème. Qu’en penses-tu? N’est-ce pas aussi le propre du poème de nous amener dans un monde particulier, de nous jouer un tour ou nous le faire faire, de nous monter un bateau?

    Tes deux ouvrages sont-ils rendus en librairie?

    Merci encore pour tes toujours aussi «merveilleuses petites études»!

    Amitiés,

    Laurent

    J’aime

    1. Oui, mais dans un cas comme dans l’autre, roman et poésie, il ne s’agit pas de berner le lecteur, de lui faire prendre un mensonge pour une vérité. L’un et l’autre disent à leur façon, autrement, des sortes de vérités. Un sentiment d’étrangeté s’empare un peu du lecteur dans les deux cas , le lecteur étant comme tu le dis amené dans un monde particulier, et cela est, en effet, un phénomène qui s’apparente à la magie.
      Quant à mes deux livres, mieux vaut appeler les libraires avant de se rendre en librairie, sinon tu risques de retourner chez toi les mains vides. Le recueil devrait être disponible depuis hier et l’essai le sera la semaine prochaine, le 15. Merci Laurent.

      J’aime

Répondre à Elise Bilodeau Annuler la réponse.