Paul Chanel Malenfant :Il n’y a plus d’après : Poésie : Éditions Le Noroît : 2019


Il n’y a plus d’après de Paul Chanel Malenfant se présente comme un tombeau. C’est un tombeau qui se referme ou plutôt s’ouvre sur la vie de deux amants. La mort de l’un entraîne la mort de l’autre qui malgré tout lui survit. En hommage, en « devoir de mémoire », le poète rassemble les fragments épars de la vie que laisse derrière lui son amant. Ainsi se souvient-il des souvenirs de celui qu’il a tant aimé. Il évoque sa vie, celle de l’enfant « en costume marine/petit matelot posant/aux marches de l’escalier/de la maison de Pointe-au-Père/entre les géraniums et les dahlias. » Il nous le montre quelques années plus tard, en mai 68, lisant L’être et le néant, un mégot pendu à ses lèvres. Draguant aussi des « éphèbes éphémères » dans « les ruelles ombreuses/du Transtevere nuit tombée ». Et comment ne pas être ému par cette image de l’homme penché sur son piano, jouant « les Nocturnes/de Chopin les Valses de Brahms/mouvement lent de tes épaules/de ta nuque se balançant/au gré du vent effeuillant l’air… » ? Ému, car ce qui domine dans ce recueil est une immense et triste tendresse. Le poème, pourrait-on dire, est celui d’une vie. Paul Chanel Malenfant ne laisse pas celle de l’être aimé s’envoler sans lui offrir une dernière gerbe de poèmes. Cet homme qu’il a aimé, à notre tour il nous le fait aimer. Et pour ce faire, il convie d’autres voix qu’il ajoute à la sienne. Dans cette « cérémonie des adieux », son chant, qui à lui seul est tout entier et plein, s’augmente du chant d’autres poètes et écrivains. Au fil des poèmes, il tisse à même son discours amoureux les mots d’une trentaine d’écrivains, et ce, sans compter les divers emprunts dont son recueil est parsemé, je songe tout particulièrement aux trous de verdure d’un certain « Dormeur du val » évoqué çà et là. Tout cela pour dire que ce recueil est une œuvre belle et raffinée, qui vaut par la richesse de sa culture : maintes références y sont faites à l’art, celui des peintres et des sculpteurs, à la musique, aux textes sacrés…Mais là n’est pas l’essentiel. Il y a dans ce recueil quelque chose de profondément universel. Ce n’est pas uniquement un seul être qui meurt, mais à travers lui, ce sont tous les hommes, toutes les femmes. Le désastre personnel de la mort de l’être cher fait écho à la mort des autres. Est dressée en parallèle à la sienne la mort collective, historique, celle des victimes de la barbarie et des guerres. « Une croix gammée brille/à la veste vernie des naufrageurs. » Et que dire de l’intime ? Je suis tout particulièrement sensible aux passages suivants (les pages 80 et 81) ; ils disent la ressemblance et la dissemblance qui unissent les amants.

tu étais de la foi
de Thomas d’Aquin
j’étais du pari de Pascal
me croiras-tu si je te dis
moi l’impie
le mécréant
moi le petit juif
de ma grand-mère maternelle

que je m’ennuie de toi
quand tu priais pour moi

Je crains bien n’avoir rien dit qui témoigne suffisamment de la beauté de cet ouvrage. Elle est certes relative au contenu, au geste d’adieu qu’adresse celui qui reste à celui qui n’est désormais plus là. La beauté, la souffrance du deuil, nous tous pouvons l’éprouver. Mais les exprimer comme le fait ici le poète n’est pas donné à tous. La poésie de Malenfant est belle et accessible, elle s’ouvre à la vie, à la mort. On admire cette poésie pour sa force, son intensité, son lyrisme, sa retenue, sa fragilité, son honnêteté, sa tendresse et sa grande maîtrise.

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Auteur : Daniel Guénette

Né le 21 mai 1952, Daniel Guénette est originaire de Montréal. Il a vécu la majeure partie de son existence dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Après des études en lettres à l’Université de Montréal, où il obtient un diplôme de maîtrise en création littéraire, il enseigne la littérature au cégep de Granby. En 2011, il prend sa retraite après 34 années d’enseignement. À l’aube de la soixantaine, il renoue avec l’écriture qu’il avait cessé de pratiquer durant près de vingt ans. Il publie chez Triptyque deux recueils de poésie, Traité de l’Incertain en 2013 et Carmen quadratum en 2016, ainsi qu’un récit, L’École des Chiens, en 2015. Dans son œuvre antérieure alternaient ouvrages de poésie (3 titres au Noroît, 2 chez Triptyque) et productions romanesques (3 titres chez Triptyque). Ces ouvrages furent publiés entre 1985 et 1996. L’ensemble fut bien reçu par la critique. À l’occasion du vingtième anniversaire des éditions Triptyque, feu Réginald Martel écrivait : « Et on soupçonne que bien des éditeurs seraient ravis d’inscrire à leur catalogue, parmi quelques auteurs de Triptyque, le nom d’un Daniel Guénette, par exemple. » J. Desraspes a enchanté Jean-Roch Boivin : « Ce roman est un délicieux apéritif, robuste et délicat, son auteur un écrivain de talent et de grands moyens. » Réginald Martel parle d’un roman « qu’on dévore sans reprendre son souffle » ; il salue également la parution des romans qui suivent, se montrant surtout favorable à L’écharpe d’Iris. Pierre Salducci écrit dans Le Devoir un article élogieux sur ce roman : « L’écharpe d’Iris est une réussite, une petite musique qui nous parle de la nature humaine et qu’on n’arrive pas à oublier. Un roman magnifique, un vrai. Pas un phénomène de mode. Pas un produit branché et périssable. Mais de la littérature. Tout simplement. » L’École des Chiens, qui en 2015 marque le retour de l’auteur au récit, a été commentée par divers blogueurs, dont le poète Jacques Gauthier : « Ce beau récit du poète Daniel Guénette évoque, avec pudeur et humilité, les onze années vécues auprès de Max qu’il a dû faire euthanasier à cause d’un cancer. Ils sont rares de tels livres qui traitent si tendrement de la relation entre un homme et son animal de compagnie. Ça parle de vie et de mort, d’attachement et d’amitié, d’enfance et de solitude. » Pour sa part, Topinambulle écrit : « Dans ce très beau récit, un homme apprivoise doucement le deuil de son chien. À la manière de Rousseau, Daniel Guénette nous invite à le suivre dans ses promenades, dans les méandres de ses souvenirs, où l'évocation de l'ami fidèle nous servira de guide. ». Dominic Tardif, dans Le Devoir, 4 juillet 2015 a rendu compte chaleureusement de L’école des chiens. Il a souligné qu’avec ce récit, l’auteur avait produit « de la vraie littérature » : « Plus qu’un livre sur un maître et son animal, L’école des chiens célèbre le pouvoir de l’écriture qui, chez Daniel Guénette, n’aspire pas à remplacer l’en allé, mais bien à en continuer la vie. » Recommandé avec enthousiasme à ses téléspectateurs, L’école des chiens a fait l’objet d’un échange de cadeaux à l’émission LIRE présentée sur ARTV. À partir de 1975, l’auteur a collaboré à diverses revues de littérature à titre de poète et de critique. On a pu lire ses recensions dans la revue Mœbius. Pour l’une d’elles, l’auteur a été finaliste au Prix d’excellence de la SODEP 2016, dans la catégorie Texte d’opinion critique sur une œuvre littéraire ou artistique. Plus récemment, l’auteur a publié deux nouveaux titres en poésie, Varia au Noroît en 2018 et, à l’hiver 2023, La châtaigneraie aux Éditions de la Grenouillère. Pour ce recueil, le poète a été finaliste au Prix d’excellence du webmagazine La Métropole. Dans la recension que réserve à cet ouvrage la revue LQ, le critique Antoine Boisclair écrit: « Ce recueil émouvant, très maîtrisé du point de vue formel, témoigne d’un savoir-faire indéniable. » Le critique et poète français Pierre Perrin écrit dans sa revue trimestrielle de littérature, la revue française « Possibles », ne pas confondre avec la revue québécoise du même nom : « Daniel Guénette a le vers sûr, souvent proche de l’alexandrin, parfois très bref. Il sait restituer une vie, avec sa foudre, ses éclairs, et les moments de calme, voire de communion. La Châtaigneraie constitue un beau recueil presque filial. » Pour sa part, dans Le Ou'tam’si magazine, Nathasha Pemba déclare que « La châtaigneraie est un recueil de poésie qui a l’allure d’un hommage, d’un renouvellement du contrat amical. C’est une poésie ontologique qui va au fond des choses pour faire émerger l’être. Daniel Guénette une fois plus confirme qu’il est poète, le poète de l’amitié, le poète de l’altérité, le poète de l’éternité. » Outre ces recueils de poésie, l’auteur fait paraître quelques nouveaux romans. De Miron, Breton et le mythomane, paru en 2017 à La Grenouillère, Dominic Tardif écrit dans Le Devoir : « Chronique des glorioles imaginaires d’un grand taquin aimant (se) conter des histoires et fabuler une légendaire vie d’aventures, Miron, Breton et le mythomane est le carton d’invitation d’une fête organisée en l’honneur du mensonge auquel s’abreuve n’importe quelle forme de littérature digne de ce nom. » Pour sa part, Dédé blanc-bec reçoit dans Nuit Blanche un commentaire signé Gaétan Bélanger : « Le ton poétique empreint d’humour et de nostalgie adopté par l’auteur rend extrêmement agréable la lecture de ce roman émouvant. Il faut préciser que, tout d’abord, il est un peu déroutant de suivre les bonds fréquents de la narration dans le temps. Plus que de simples digressions, elles donnent parfois l’impression que l’auteur saute du coq à l’âne pour revenir aux mêmes événements, observés sous un angle différent. Mais on s’habitue vite à cette manière ou à ce style et on l’apprécie pour son originalité. Voilà donc un roman au texte minutieusement poli et se démarquant par sa qualité et son audace. » Vierge folle est le dernier roman de l’auteur. La recension parue dans Culture Hebdo se termine avec ces mots : « Nous vous laissons le soin de découvrir la conclusion. Excellent, est un euphémisme. On a adoré. » Ce roman, sans doute le meilleur de l’auteur, s’il a suscité l’enthousiasme de ses lecteurs n’a guère fait l’objet de recensions sérieuses. Pour des recensions sérieuses, il aura fallu attendre l’hiver 2023. Au billet d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie, se sera ajoutée dans Le Devoir une chronique de Louis Cornellier consacrée non pas à un roman ou un recueil, mais à un essai. Le journaliste y salue d’abord le travail entrepris par l’écrivain sur son blogue : « Fin lecteur de poésie, l’écrivain s’y impose comme un critique raffiné, érudit et amical dont le style, limpide et élégant, s’apparente à celui de la conversation relevée. Ces qualités en font une rareté dans le paysage littéraire québécois. » Puis, il rend compte de l’essai : « Dans Le complexe d’Orphée (Nota bene, 2023, 186 pages), l’écrivain se fait plus essayiste que critique en proposant « une manière de promenade » dans laquelle il tente « de saisir la nature de la poésie ». Fidèle à son approche modeste et exploratoire, il déambule en compagnie des poètes et penseurs qu’il aime afin de délimiter son objet, tout en cultivant le souci de ne pas l’enfermer. » Il conclut sa chronique en ces termes : « Partisan des « poèmes limpides » qui disent de « simples vérités », Guénette trouve dans la poésie un antidote « à l’endormissement de [ses] facultés » ou, comme l’écrit Valéry, un discours « chargé de plus de sens, et mêlé de plus de musique, que le langage ordinaire n’en porte et n’en peut porter ». Fénelon aurait aimé ce livre admirable. » La conclusion de l’article d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie était elle aussi plutôt réjouissante : « Romancier accompli (son dernier récit, Vierge folle, est paru en 2021 aux éditions de La Grenouillère), critique littéraire important (son blogue, intitulé Dédé blanc-bec, offre des comptes rendus très étoffés sur des publications québécoises), Daniel Guénette est aussi un poète qui mérite toute notre attention. »

2 réflexions sur « Paul Chanel Malenfant :Il n’y a plus d’après : Poésie : Éditions Le Noroît : 2019 »

  1. Chère Élise (c’est comme dans la chanson) : pour ma part, je n’avais lu de Malenfant que des poèmes publiés dans les revues de poésie. Son dernier recueil est beau et accessible. Je le recommande.
    Quant à mon blogue, il contient désormais tous les petits articles que j’ai rédigés depuis juin dernier, ainsi que deux autres publiés antérieurement (dans Mœbius : commentaire sur Le dernier train de la nuit de feu mon ami Tougas et commentaire sur un recueil d’essais de Robert Melançon).
    J’entends poursuivre cette activité, mais en adoptant une cadence sans doute moins intense — ce qui reste à voir…
    Votre présence est grandement appréciée.
    Merci.

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