Laurence Veilleux : Aller aux corps : Poésie :  Éditions du Noroît, Montréal, 2024, 86 p.

Sombre est la nuit au cœur de la forêt. Claire toutefois est la parole d’une petite fille enfermée par son père dans un cercueil. Le diable fait corps ici avec la Sainte Eucharistie. Où sommes-nous? À quelle époque? Nous sommes dans la tête de cette fillette qui, devenue grande, parle de son père, de sa grand-mère et de sa mère qui voudrait bien qu’elle mange davantage. Un ventre vide conduit à l’hallucination. Les fantômes qu’elle voit, se pourrait-il qu’ils soient le fruit de sa très vive imagination?

Laurence Veilleux propose ici un livre étonnant, envoûtant, dont la facture a de quoi réjouir. Est-ce de la poésie ? Les amateurs de fine prosodie prétendront que ce n’en est pas. Abonderont dans leur sens ceux et celles qui ne jurent que par des images tirées par les cheveux, ou que seul charme et séduit le lyrisme conventionnel, celui qui charrie des émotions. D’autres attendent de la poésie qu’elle mette à mal le langage usuel, que les poètes soient des créateurs de formes nouvelles pour ne pas dire de savants démolisseurs de formes anciennes. Ils ajouteront que la poète a produit un ouvrage qui s’apparente davantage au récit qu’à la poésie. Bon sang ! On dira ce qu’on voudra, mais voici bel et bien un ouvrage de littérature comme on en voit plutôt rarement.

Son originalité tient d’abord à sa facture. Il est composé de tableaux narratifs solidement arrimés les uns aux autres. Une histoire est racontée, mais non pas de manière linéaire. L’assemblage de ces morceaux n’a toutefois rien de déroutant. L’écriture elle-même se montre respectueuse des conventions les plus éprouvées. Elle se fait efficacement discrète et sobre, s’effaçant presque pour mieux livrer un propos qui n’aurait pas la même puissance si elle ne possédait pas la grande qualité de sa relative simplicité. Ainsi, tout est clair dans le mot à mot que livre la poète, de sorte que lecteurs et lectrices pénètrent aisément dans un univers où sombre est la nuit au creux de la forêt. Cette écriture limpide, quoique porteuse de remous et d’abysses, constitue une manière d’oxymore.

Tout aussi réussi est le contraste entre le prosaïsme du monde réel, celui où agissent les personnages de ce récit, et le sens du merveilleux animant les propos de la poète. Le père, sa première épouse, Aurélienne, puis la maman de Laurence (son nom apparaît dans le livre) et sa grand-mère Madeleine sont des personnages saisis, montrés et racontés de manière tout à fait réaliste. Ils vivent dans un monde rural, un petit village. On les croirait sortis tout droit d’un roman de la terre, vivant dans quelque chose comme Le temps d’une paix ou Les belles histoires des pays d’en haut. Or, si ce monde est terre à terre, le regard que pose sur lui la poète a quelque chose qui, lui, s’apparente à l’outre-tombe. N’allons pas croire qu’il s’agisse ici de littérature fantastique. Certes, il y a de la sorcellerie dans l’air, du merveilleux, mais c’est plutôt l’imaginaire qui opère ici. La narratrice pose un regard sur un univers qu’elle perçoit à travers le filtre de sa créativité, de sa grande sensibilité, comme si les troubles alimentaires qu’elle ressent créaient ses perceptions ou, à l’inverse, comme si ses perceptions venaient perturber son corps en déréglant son rapport à l’alimentation.

« à quoi ressembles-tu maintenant ? / souvent j’y pense je ne veux pas y penser // ta peau s’efface à mesure / que tes dents noircissent et tombent // ce sera mon dernier portrait de toi / une mâchoire ouverte »

Ce livre est à la fois grave et léger. On le traverse en naviguant sur des eaux claires, dont la profondeur interpelle. À la suite de la petite fille, on se laisse enfermer dans un cercueil. On médite alors sur le sens de la vie et de la mort. 

Recension parue dans le numéro 176 du magazine Nuit blanche à l’automne 2024

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Auteur : Daniel Guénette

Né le 21 mai 1952, Daniel Guénette est originaire de Montréal. Il a vécu la majeure partie de son existence dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Après des études en lettres à l’Université de Montréal, où il obtient un diplôme de maîtrise en création littéraire, il enseigne la littérature au cégep de Granby. En 2011, il prend sa retraite après 34 années d’enseignement. À l’aube de la soixantaine, il renoue avec l’écriture qu’il avait cessé de pratiquer durant près de vingt ans. Il publie chez Triptyque deux recueils de poésie, Traité de l’Incertain en 2013 et Carmen quadratum en 2016, ainsi qu’un récit, L’École des Chiens, en 2015. Dans son œuvre antérieure alternaient ouvrages de poésie (3 titres au Noroît, 2 chez Triptyque) et productions romanesques (3 titres chez Triptyque). Ces ouvrages furent publiés entre 1985 et 1996. L’ensemble fut bien reçu par la critique. À l’occasion du vingtième anniversaire des éditions Triptyque, feu Réginald Martel écrivait : « Et on soupçonne que bien des éditeurs seraient ravis d’inscrire à leur catalogue, parmi quelques auteurs de Triptyque, le nom d’un Daniel Guénette, par exemple. » J. Desraspes a enchanté Jean-Roch Boivin : « Ce roman est un délicieux apéritif, robuste et délicat, son auteur un écrivain de talent et de grands moyens. » Réginald Martel parle d’un roman « qu’on dévore sans reprendre son souffle » ; il salue également la parution des romans qui suivent, se montrant surtout favorable à L’écharpe d’Iris. Pierre Salducci écrit dans Le Devoir un article élogieux sur ce roman : « L’écharpe d’Iris est une réussite, une petite musique qui nous parle de la nature humaine et qu’on n’arrive pas à oublier. Un roman magnifique, un vrai. Pas un phénomène de mode. Pas un produit branché et périssable. Mais de la littérature. Tout simplement. » L’École des Chiens, qui en 2015 marque le retour de l’auteur au récit, a été commentée par divers blogueurs, dont le poète Jacques Gauthier : « Ce beau récit du poète Daniel Guénette évoque, avec pudeur et humilité, les onze années vécues auprès de Max qu’il a dû faire euthanasier à cause d’un cancer. Ils sont rares de tels livres qui traitent si tendrement de la relation entre un homme et son animal de compagnie. Ça parle de vie et de mort, d’attachement et d’amitié, d’enfance et de solitude. » Pour sa part, Topinambulle écrit : « Dans ce très beau récit, un homme apprivoise doucement le deuil de son chien. À la manière de Rousseau, Daniel Guénette nous invite à le suivre dans ses promenades, dans les méandres de ses souvenirs, où l'évocation de l'ami fidèle nous servira de guide. ». Dominic Tardif, dans Le Devoir, 4 juillet 2015 a rendu compte chaleureusement de L’école des chiens. Il a souligné qu’avec ce récit, l’auteur avait produit « de la vraie littérature » : « Plus qu’un livre sur un maître et son animal, L’école des chiens célèbre le pouvoir de l’écriture qui, chez Daniel Guénette, n’aspire pas à remplacer l’en allé, mais bien à en continuer la vie. » Recommandé avec enthousiasme à ses téléspectateurs, L’école des chiens a fait l’objet d’un échange de cadeaux à l’émission LIRE présentée sur ARTV. À partir de 1975, l’auteur a collaboré à diverses revues de littérature à titre de poète et de critique. On a pu lire ses recensions dans la revue Mœbius. Pour l’une d’elles, l’auteur a été finaliste au Prix d’excellence de la SODEP 2016, dans la catégorie Texte d’opinion critique sur une œuvre littéraire ou artistique. Plus récemment, l’auteur a publié deux nouveaux titres en poésie, Varia au Noroît en 2018 et, à l’hiver 2023, La châtaigneraie aux Éditions de la Grenouillère. Pour ce recueil, le poète a été finaliste au Prix d’excellence du webmagazine La Métropole. Dans la recension que réserve à cet ouvrage la revue LQ, le critique Antoine Boisclair écrit: « Ce recueil émouvant, très maîtrisé du point de vue formel, témoigne d’un savoir-faire indéniable. » Le critique et poète français Pierre Perrin écrit dans sa revue trimestrielle de littérature, la revue française « Possibles », ne pas confondre avec la revue québécoise du même nom : « Daniel Guénette a le vers sûr, souvent proche de l’alexandrin, parfois très bref. Il sait restituer une vie, avec sa foudre, ses éclairs, et les moments de calme, voire de communion. La Châtaigneraie constitue un beau recueil presque filial. » Pour sa part, dans Le Ou'tam’si magazine, Nathasha Pemba déclare que « La châtaigneraie est un recueil de poésie qui a l’allure d’un hommage, d’un renouvellement du contrat amical. C’est une poésie ontologique qui va au fond des choses pour faire émerger l’être. Daniel Guénette une fois plus confirme qu’il est poète, le poète de l’amitié, le poète de l’altérité, le poète de l’éternité. » Outre ces recueils de poésie, l’auteur fait paraître quelques nouveaux romans. De Miron, Breton et le mythomane, paru en 2017 à La Grenouillère, Dominic Tardif écrit dans Le Devoir : « Chronique des glorioles imaginaires d’un grand taquin aimant (se) conter des histoires et fabuler une légendaire vie d’aventures, Miron, Breton et le mythomane est le carton d’invitation d’une fête organisée en l’honneur du mensonge auquel s’abreuve n’importe quelle forme de littérature digne de ce nom. » Pour sa part, Dédé blanc-bec reçoit dans Nuit Blanche un commentaire signé Gaétan Bélanger : « Le ton poétique empreint d’humour et de nostalgie adopté par l’auteur rend extrêmement agréable la lecture de ce roman émouvant. Il faut préciser que, tout d’abord, il est un peu déroutant de suivre les bonds fréquents de la narration dans le temps. Plus que de simples digressions, elles donnent parfois l’impression que l’auteur saute du coq à l’âne pour revenir aux mêmes événements, observés sous un angle différent. Mais on s’habitue vite à cette manière ou à ce style et on l’apprécie pour son originalité. Voilà donc un roman au texte minutieusement poli et se démarquant par sa qualité et son audace. » Vierge folle est le dernier roman de l’auteur. La recension parue dans Culture Hebdo se termine avec ces mots : « Nous vous laissons le soin de découvrir la conclusion. Excellent, est un euphémisme. On a adoré. » Ce roman, sans doute le meilleur de l’auteur, s’il a suscité l’enthousiasme de ses lecteurs n’a guère fait l’objet de recensions sérieuses. Pour des recensions sérieuses, il aura fallu attendre l’hiver 2023. Au billet d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie, se sera ajoutée dans Le Devoir une chronique de Louis Cornellier consacrée non pas à un roman ou un recueil, mais à un essai. Le journaliste y salue d’abord le travail entrepris par l’écrivain sur son blogue : « Fin lecteur de poésie, l’écrivain s’y impose comme un critique raffiné, érudit et amical dont le style, limpide et élégant, s’apparente à celui de la conversation relevée. Ces qualités en font une rareté dans le paysage littéraire québécois. » Puis, il rend compte de l’essai : « Dans Le complexe d’Orphée (Nota bene, 2023, 186 pages), l’écrivain se fait plus essayiste que critique en proposant « une manière de promenade » dans laquelle il tente « de saisir la nature de la poésie ». Fidèle à son approche modeste et exploratoire, il déambule en compagnie des poètes et penseurs qu’il aime afin de délimiter son objet, tout en cultivant le souci de ne pas l’enfermer. » Il conclut sa chronique en ces termes : « Partisan des « poèmes limpides » qui disent de « simples vérités », Guénette trouve dans la poésie un antidote « à l’endormissement de [ses] facultés » ou, comme l’écrit Valéry, un discours « chargé de plus de sens, et mêlé de plus de musique, que le langage ordinaire n’en porte et n’en peut porter ». Fénelon aurait aimé ce livre admirable. » La conclusion de l’article d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie était elle aussi plutôt réjouissante : « Romancier accompli (son dernier récit, Vierge folle, est paru en 2021 aux éditions de La Grenouillère), critique littéraire important (son blogue, intitulé Dédé blanc-bec, offre des comptes rendus très étoffés sur des publications québécoises), Daniel Guénette est aussi un poète qui mérite toute notre attention. »

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