Nadine Ltaif : Chant des créatures : Poésie : Le Noroît : 2024 : Montréal : 79 pages

Notre monde est bel et bien cruel. En témoigne une date : celle du 4 août 2020. Ce jour-là, une « déflagration inouïe » dévaste le port de Beyrouth. Qui donc est responsable de cette « Horreur » ? La poète se le demande. La réponse ne tarde pas à se faire entendre. Un coupable est désigné. Puis, du silence des ruines émerge peu à peu la « conférence des oiseaux ». Les fleurs s’animent. Ce qu’elles ont à dire est du plus grand intérêt.

L’humanité ne joue pas le beau rôle dans la pensée de l’autrice, la responsabilité de l’Horreur pouvant être attribuée à l’homme. En effet, le premier poème du recueil fait valoir que « la main souille l’oiseau ». Pour ne pas interférer dans les activités du nid jouxtant sa fenêtre, Nadine Ltaif se réfrène de l’ouvrir. C’est que la main humaine tue les oiseaux. Propos écologiste ? Oui, mais il y a plus. De l’autre côté de la rue se trouve une murale. On y voit représenté un itinérant : « sur son visage est écrit / PERSONNE ».

Mine de rien, sans jeter les hauts cris, en adoptant une ligne toujours claire, celle d’une écriture agrémentée d’une subtile fantaisie, la poète aborde des sujets d’une rare gravité. Notre monde est certes cruel mais, heureusement, moyennant un certain travail sur soi, on peut en atteindre la beauté. Cela ne se réalise pas sans quelque métamorphose. Mais pour cela, il faut apprendre à se « désêtrer ».

Une poésie intelligente peut être exempte d’intellectualisme. Il y a de quoi se réjouir quand la clarté du discours règne dans un ensemble de textes, quand la phrase tout en étant limpide est réellement porteuse d’image et d’émotion, chaque vers se donnant alors pour ce qu’il est à l’instant même où l’on en savoure toute la substance. La poésie de Nadine Ltaif charme dans le sens le plus fort du terme. Comment expliquer sa douce magie ? Cela tient à un discret raffinement, à une langue épurée et, certes, à l’absence d’afféteries ; cela tient davantage encore à la présence d’un propos livré avec le plus grand naturel. Évidemment, un tel naturel s’il est le fruit d’un talent inné est aussi en grande partie redevable de l’acquis. C’est une écrivaine d’expérience qui s’adresse à nous. Elle sait comment s’y prendre pour composer un livre de poèmes, comment y faire figurer des pensées essentielles sans alourdir les vers. Elle connaît l’art qui consiste à varier son discours tout en préservant l’unité de son ouvrage. Mais comment dire ? Tout cela serait peu si les beautés formelles masquaient une absence de propos.

J’ai évoqué ci-haut les appréhensions manifestées par l’autrice. Elle a ouvert son recueil avec un avant-propos qui nous la montre en grande conversation avec la nature. Un moucheron entame un dialogue avec elle. Elle écoute « les paroles de l’arbre ». Et surtout, elle nous fait part d’un projet. Ici entre en jeu la question du désêtre. C’est que la poète a « décidé de / [se] défaire de [sa] peau / pour devenir vivante sans nom / sans désignation d’espèce. ». Beyrouth dans la section suivante sera en quelque sorte la figure emblématique des drames civilisationnels que doit affronter le monde, et dont les règnes animal et végétal sont les victimes collatérales. Beyrouth, grande métonymie de l’horreur, comme le fut Auschwitz en d’autres temps.

« Après le deuil, le silence est guérisseur. » À la suite de la section consacrée au crime perpétré dans le port de Beyrouth viennent de forts lumineux poèmes. En exergue de la première section, ces vers d’Issa : « Ce monde souffre / même les herbes le disent / qui se courbent au couchant ». La poète adopte le style de la fable et du conte. Que de splendeurs elle nous révèle alors. Les grandes œuvres ont en commun la qualité qui consiste, comme le souhaitaient les classiques, à instruire tout en distrayant. Nadine Ltaif ne nous fait pas la leçon, mais elle donne à réfléchir. Ses poèmes font montre d’une savoureuse inventivité. L’imagination y joue un rôle prépondérant, quoique mesuré. Il faut entendre ce que dans ses poèmes racontent les fleurs, voir les égards que manifeste l’écrivaine à l’endroit d’une hôte-araignée. À la fin du recueil, la poète devient « Fourmi ». Subjugué, le lecteur en redemande ; il relit pour une quatrième, voire une cinquième fois ce magnifique recueil.

Publié le 9 juillet, 2024 dans le magazine littéraire Nuit blanche Numéro 175

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Auteur : Daniel Guénette

Né le 21 mai 1952, Daniel Guénette est originaire de Montréal. Il a vécu la majeure partie de son existence dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Après des études en lettres à l’Université de Montréal, où il obtient un diplôme de maîtrise en création littéraire, il enseigne la littérature au cégep de Granby. En 2011, il prend sa retraite après 34 années d’enseignement. À l’aube de la soixantaine, il renoue avec l’écriture qu’il avait cessé de pratiquer durant près de vingt ans. Il publie chez Triptyque deux recueils de poésie, Traité de l’Incertain en 2013 et Carmen quadratum en 2016, ainsi qu’un récit, L’École des Chiens, en 2015. Dans son œuvre antérieure alternaient ouvrages de poésie (3 titres au Noroît, 2 chez Triptyque) et productions romanesques (3 titres chez Triptyque). Ces ouvrages furent publiés entre 1985 et 1996. L’ensemble fut bien reçu par la critique. À l’occasion du vingtième anniversaire des éditions Triptyque, feu Réginald Martel écrivait : « Et on soupçonne que bien des éditeurs seraient ravis d’inscrire à leur catalogue, parmi quelques auteurs de Triptyque, le nom d’un Daniel Guénette, par exemple. » J. Desraspes a enchanté Jean-Roch Boivin : « Ce roman est un délicieux apéritif, robuste et délicat, son auteur un écrivain de talent et de grands moyens. » Réginald Martel parle d’un roman « qu’on dévore sans reprendre son souffle » ; il salue également la parution des romans qui suivent, se montrant surtout favorable à L’écharpe d’Iris. Pierre Salducci écrit dans Le Devoir un article élogieux sur ce roman : « L’écharpe d’Iris est une réussite, une petite musique qui nous parle de la nature humaine et qu’on n’arrive pas à oublier. Un roman magnifique, un vrai. Pas un phénomène de mode. Pas un produit branché et périssable. Mais de la littérature. Tout simplement. » L’École des Chiens, qui en 2015 marque le retour de l’auteur au récit, a été commentée par divers blogueurs, dont le poète Jacques Gauthier : « Ce beau récit du poète Daniel Guénette évoque, avec pudeur et humilité, les onze années vécues auprès de Max qu’il a dû faire euthanasier à cause d’un cancer. Ils sont rares de tels livres qui traitent si tendrement de la relation entre un homme et son animal de compagnie. Ça parle de vie et de mort, d’attachement et d’amitié, d’enfance et de solitude. » Pour sa part, Topinambulle écrit : « Dans ce très beau récit, un homme apprivoise doucement le deuil de son chien. À la manière de Rousseau, Daniel Guénette nous invite à le suivre dans ses promenades, dans les méandres de ses souvenirs, où l'évocation de l'ami fidèle nous servira de guide. ». Dominic Tardif, dans Le Devoir, 4 juillet 2015 a rendu compte chaleureusement de L’école des chiens. Il a souligné qu’avec ce récit, l’auteur avait produit « de la vraie littérature » : « Plus qu’un livre sur un maître et son animal, L’école des chiens célèbre le pouvoir de l’écriture qui, chez Daniel Guénette, n’aspire pas à remplacer l’en allé, mais bien à en continuer la vie. » Recommandé avec enthousiasme à ses téléspectateurs, L’école des chiens a fait l’objet d’un échange de cadeaux à l’émission LIRE présentée sur ARTV. À partir de 1975, l’auteur a collaboré à diverses revues de littérature à titre de poète et de critique. On a pu lire ses recensions dans la revue Mœbius. Pour l’une d’elles, l’auteur a été finaliste au Prix d’excellence de la SODEP 2016, dans la catégorie Texte d’opinion critique sur une œuvre littéraire ou artistique. Plus récemment, l’auteur a publié deux nouveaux titres en poésie, Varia au Noroît en 2018 et, à l’hiver 2023, La châtaigneraie aux Éditions de la Grenouillère. Pour ce recueil, le poète a été finaliste au Prix d’excellence du webmagazine La Métropole. Dans la recension que réserve à cet ouvrage la revue LQ, le critique Antoine Boisclair écrit: « Ce recueil émouvant, très maîtrisé du point de vue formel, témoigne d’un savoir-faire indéniable. » Le critique et poète français Pierre Perrin écrit dans sa revue trimestrielle de littérature, la revue française « Possibles », ne pas confondre avec la revue québécoise du même nom : « Daniel Guénette a le vers sûr, souvent proche de l’alexandrin, parfois très bref. Il sait restituer une vie, avec sa foudre, ses éclairs, et les moments de calme, voire de communion. La Châtaigneraie constitue un beau recueil presque filial. » Pour sa part, dans Le Ou'tam’si magazine, Nathasha Pemba déclare que « La châtaigneraie est un recueil de poésie qui a l’allure d’un hommage, d’un renouvellement du contrat amical. C’est une poésie ontologique qui va au fond des choses pour faire émerger l’être. Daniel Guénette une fois plus confirme qu’il est poète, le poète de l’amitié, le poète de l’altérité, le poète de l’éternité. » Outre ces recueils de poésie, l’auteur fait paraître quelques nouveaux romans. De Miron, Breton et le mythomane, paru en 2017 à La Grenouillère, Dominic Tardif écrit dans Le Devoir : « Chronique des glorioles imaginaires d’un grand taquin aimant (se) conter des histoires et fabuler une légendaire vie d’aventures, Miron, Breton et le mythomane est le carton d’invitation d’une fête organisée en l’honneur du mensonge auquel s’abreuve n’importe quelle forme de littérature digne de ce nom. » Pour sa part, Dédé blanc-bec reçoit dans Nuit Blanche un commentaire signé Gaétan Bélanger : « Le ton poétique empreint d’humour et de nostalgie adopté par l’auteur rend extrêmement agréable la lecture de ce roman émouvant. Il faut préciser que, tout d’abord, il est un peu déroutant de suivre les bonds fréquents de la narration dans le temps. Plus que de simples digressions, elles donnent parfois l’impression que l’auteur saute du coq à l’âne pour revenir aux mêmes événements, observés sous un angle différent. Mais on s’habitue vite à cette manière ou à ce style et on l’apprécie pour son originalité. Voilà donc un roman au texte minutieusement poli et se démarquant par sa qualité et son audace. » Vierge folle est le dernier roman de l’auteur. La recension parue dans Culture Hebdo se termine avec ces mots : « Nous vous laissons le soin de découvrir la conclusion. Excellent, est un euphémisme. On a adoré. » Ce roman, sans doute le meilleur de l’auteur, s’il a suscité l’enthousiasme de ses lecteurs n’a guère fait l’objet de recensions sérieuses. Pour des recensions sérieuses, il aura fallu attendre l’hiver 2023. Au billet d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie, se sera ajoutée dans Le Devoir une chronique de Louis Cornellier consacrée non pas à un roman ou un recueil, mais à un essai. Le journaliste y salue d’abord le travail entrepris par l’écrivain sur son blogue : « Fin lecteur de poésie, l’écrivain s’y impose comme un critique raffiné, érudit et amical dont le style, limpide et élégant, s’apparente à celui de la conversation relevée. Ces qualités en font une rareté dans le paysage littéraire québécois. » Puis, il rend compte de l’essai : « Dans Le complexe d’Orphée (Nota bene, 2023, 186 pages), l’écrivain se fait plus essayiste que critique en proposant « une manière de promenade » dans laquelle il tente « de saisir la nature de la poésie ». Fidèle à son approche modeste et exploratoire, il déambule en compagnie des poètes et penseurs qu’il aime afin de délimiter son objet, tout en cultivant le souci de ne pas l’enfermer. » Il conclut sa chronique en ces termes : « Partisan des « poèmes limpides » qui disent de « simples vérités », Guénette trouve dans la poésie un antidote « à l’endormissement de [ses] facultés » ou, comme l’écrit Valéry, un discours « chargé de plus de sens, et mêlé de plus de musique, que le langage ordinaire n’en porte et n’en peut porter ». Fénelon aurait aimé ce livre admirable. » La conclusion de l’article d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie était elle aussi plutôt réjouissante : « Romancier accompli (son dernier récit, Vierge folle, est paru en 2021 aux éditions de La Grenouillère), critique littéraire important (son blogue, intitulé Dédé blanc-bec, offre des comptes rendus très étoffés sur des publications québécoises), Daniel Guénette est aussi un poète qui mérite toute notre attention. »

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