Jean-Sébastien Huot : Une façon de conte : Poésie : Éditions Mains libres 2023 : 84 pages

Voici un livre de poésie. Assurément, la parole y est poétique, mais un titre ne doit pas être pris à la légère. Cet ouvrage constitue bel et bien une manière de conte. Or, nous le savons, l’univers des contes fraie parfois avec l’horreur. L’enfance a beau être à l’honneur, l’enfer y côtoie le paradis la plupart du temps.

« Je ne parle plus que la langue d’un idiot. » J’extrais ces mots du précédent recueil de l’auteur. Demeures était un charmant recueil. Mais qui parle de charmes avec Demeures et Une façon de conte doit insuffler à ce mot tout ce que vivre et mourir implique de souffrances et de malheur. Rien ne me semble plus grave que la légèreté à l’œuvre dans ces recueils.

Mon souvenir de Demeures repose en grande partie sur le plaisir que m’avaient procuré ses illustrations ô combien naïves. Les sourires que m’adressaient les petites maisons vivement colorées de l’artiste me séduisaient grandement.

J’ouvre Une façon de conte et tombe sur ceci.

« Ses doigts cherchent la lumière parmi les limbes de cet homme sous haute tension. Pain. Lune sur chaise. Sucre lent. Ce crime en marge du roman Crooked House. Souillures. Éducation. Ses premières déclinaisons sans euphémismes ni pardon. »

Suis-je séduit ? Il y a là de quoi décontenancer, en tout cas. Ces phrases détachées, dont l’une ne contient qu’un seul mot, ont presque toutes du sens, un sens, mais lequel ? Que fait la lune sur un banc et que signifie « sucre lent » ? Lent peut-être à fondre dans une tasse ou lent dans la mesure où le pain (rond ici, comme la lune) appartient à la famille des sucres lents ? Les liens entre les phrases, et même entre les mots, sont ou bien absents, ou bien tenus sous le boisseau ; liens à chercher et peut-être à découvrir pour peu que l’on soit curieux. Or, il me semble que l’on a intérêt ici à se montrer tel. Le jeu en vaut la chandelle. Ce petit tableau, pour composite que soit la scène qu’il propose, est loin d’être insignifiant ; il a pour élément principal un thème qui sera développé avec à-propos tout au long du recueil. Il s’agit du thème de la souffrance.

Les quelque 30 morceaux ou poèmes que contient ce recueil, sans compter les 14 dessins qui participent de leur mouvement, proposent une histoire. C’est l’histoire d’une femme qui au départ plonge ses doigts dans les limbes d’un homme « sous haute tension ». On le voit, ce drôle de conte sera loin d’être amusant. L’homme est mal en point et sa compagne ne se porte guère mieux. On parle dans son cas d’une « artère de la tête du fémur rompue, comme ces visions de ballerines éborgnées ». Ces deux personnages entretiennent une relation toxique : « Sa nuit s’approche d’une autre nuit ».

La façon dont est fait ce conte a d’abord de quoi déconcerter. À sa lecture, notre œil semble vissé à un kaléidoscope. Des dizaines de petites informations scintillent et papillotent sur la page. On cerne difficilement la logique les reliant, quoique assez tôt du sens vient à s’en dégager. C’est que cette prose poétique n’a rien d’absurde ou de gratuit. Certes, elle procède d’une véritable liberté créative, mais de l’apparente incohérence qu’entraîne cette liberté point une indéniable pertinence. La manière est fantaisiste, l’atmosphère du conte se rapproche de l’onirisme mais, paradoxalement, c’est le réalisme qui prime dans ces petits fragments de récits. On y voit des images très crues, pour ne pas dire empreintes de cruauté. Huot traite d’une dure et pénible réalité. Cet enfer, il parvient à le rendre avec brio.

Les représentations de l’univers qu’il dépeint sont percutantes. Elles s’accordent avec la violence du monde brisé où évolue en chute libre le personnage féminin du conte.

Elle n’a que dix-huit ans. Elle tombe. « Creux. Creux. Plus bas dans la blessure. » « Frappe à la porte du loft de son client. » « Fume le fentanyl. » « Aujourd’hui, elle se mutile le bras à l’exacto. » Elle se sent sale. Mais, lorsque l’on veut « se laver de ces langues stériles comme un fait divers sur sa peau […] prendre une douche », cela n’enlève rien à l’horreur. Il faut des fleurs, beaucoup de fleurs pour en venir à bout, ne serait-ce que l’espace d’une rêverie.

Il y eut de beaux moments. Par exemple, lorsque sa mère tendrement caressait « sa chevelure mouillée en lui lisant Le roitelet des frères Grimm ». Dans le présent misérable où s’abîme cette jeune prostituée, il y a des lueurs du passé qui reluisent, quelques fleurs de jadis parviennent à refleurir malgré tout. C’était au temps de l’innocence. « S’animent les paysages simples. Années blondes et bleues. » Dans les « replis du mur », la jeune femme « perçoit la mer. Un quai. Bouquet de violettes des bois et monnaies du pape ». De rares moments de bonheur affleurent ainsi à travers les souvenirs. Dans l’un de ses dessins, l’auteur cite Jean-Luc Nancy : « Il n’y a de sens qu’à fleur de sens ». Ce sont finalement des fleurs que le poète offre en guise de consolation à sa pauvre héroïne. Le recueil prend fin avec ces fleurs qu’on pourrait croire dessinées par une main d’enfant.

 Publié d’abord dans le magazine Nuit blanche Numéro 173

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Auteur : Daniel Guénette

Né le 21 mai 1952, Daniel Guénette est originaire de Montréal. Il a vécu la majeure partie de son existence dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Après des études en lettres à l’Université de Montréal, où il obtient un diplôme de maîtrise en création littéraire, il enseigne la littérature au cégep de Granby. En 2011, il prend sa retraite après 34 années d’enseignement. À l’aube de la soixantaine, il renoue avec l’écriture qu’il avait cessé de pratiquer durant près de vingt ans. Il publie chez Triptyque deux recueils de poésie, Traité de l’Incertain en 2013 et Carmen quadratum en 2016, ainsi qu’un récit, L’École des Chiens, en 2015. Dans son œuvre antérieure alternaient ouvrages de poésie (3 titres au Noroît, 2 chez Triptyque) et productions romanesques (3 titres chez Triptyque). Ces ouvrages furent publiés entre 1985 et 1996. L’ensemble fut bien reçu par la critique. À l’occasion du vingtième anniversaire des éditions Triptyque, feu Réginald Martel écrivait : « Et on soupçonne que bien des éditeurs seraient ravis d’inscrire à leur catalogue, parmi quelques auteurs de Triptyque, le nom d’un Daniel Guénette, par exemple. » J. Desraspes a enchanté Jean-Roch Boivin : « Ce roman est un délicieux apéritif, robuste et délicat, son auteur un écrivain de talent et de grands moyens. » Réginald Martel parle d’un roman « qu’on dévore sans reprendre son souffle » ; il salue également la parution des romans qui suivent, se montrant surtout favorable à L’écharpe d’Iris. Pierre Salducci écrit dans Le Devoir un article élogieux sur ce roman : « L’écharpe d’Iris est une réussite, une petite musique qui nous parle de la nature humaine et qu’on n’arrive pas à oublier. Un roman magnifique, un vrai. Pas un phénomène de mode. Pas un produit branché et périssable. Mais de la littérature. Tout simplement. » L’École des Chiens, qui en 2015 marque le retour de l’auteur au récit, a été commentée par divers blogueurs, dont le poète Jacques Gauthier : « Ce beau récit du poète Daniel Guénette évoque, avec pudeur et humilité, les onze années vécues auprès de Max qu’il a dû faire euthanasier à cause d’un cancer. Ils sont rares de tels livres qui traitent si tendrement de la relation entre un homme et son animal de compagnie. Ça parle de vie et de mort, d’attachement et d’amitié, d’enfance et de solitude. » Pour sa part, Topinambulle écrit : « Dans ce très beau récit, un homme apprivoise doucement le deuil de son chien. À la manière de Rousseau, Daniel Guénette nous invite à le suivre dans ses promenades, dans les méandres de ses souvenirs, où l'évocation de l'ami fidèle nous servira de guide. ». Dominic Tardif, dans Le Devoir, 4 juillet 2015 a rendu compte chaleureusement de L’école des chiens. Il a souligné qu’avec ce récit, l’auteur avait produit « de la vraie littérature » : « Plus qu’un livre sur un maître et son animal, L’école des chiens célèbre le pouvoir de l’écriture qui, chez Daniel Guénette, n’aspire pas à remplacer l’en allé, mais bien à en continuer la vie. » Recommandé avec enthousiasme à ses téléspectateurs, L’école des chiens a fait l’objet d’un échange de cadeaux à l’émission LIRE présentée sur ARTV. À partir de 1975, l’auteur a collaboré à diverses revues de littérature à titre de poète et de critique. On a pu lire ses recensions dans la revue Mœbius. Pour l’une d’elles, l’auteur a été finaliste au Prix d’excellence de la SODEP 2016, dans la catégorie Texte d’opinion critique sur une œuvre littéraire ou artistique. Plus récemment, l’auteur a publié deux nouveaux titres en poésie, Varia au Noroît en 2018 et, à l’hiver 2023, La châtaigneraie aux Éditions de la Grenouillère. Pour ce recueil, le poète a été finaliste au Prix d’excellence du webmagazine La Métropole. Dans la recension que réserve à cet ouvrage la revue LQ, le critique Antoine Boisclair écrit: « Ce recueil émouvant, très maîtrisé du point de vue formel, témoigne d’un savoir-faire indéniable. » Le critique et poète français Pierre Perrin écrit dans sa revue trimestrielle de littérature, la revue française « Possibles », ne pas confondre avec la revue québécoise du même nom : « Daniel Guénette a le vers sûr, souvent proche de l’alexandrin, parfois très bref. Il sait restituer une vie, avec sa foudre, ses éclairs, et les moments de calme, voire de communion. La Châtaigneraie constitue un beau recueil presque filial. » Pour sa part, dans Le Ou'tam’si magazine, Nathasha Pemba déclare que « La châtaigneraie est un recueil de poésie qui a l’allure d’un hommage, d’un renouvellement du contrat amical. C’est une poésie ontologique qui va au fond des choses pour faire émerger l’être. Daniel Guénette une fois plus confirme qu’il est poète, le poète de l’amitié, le poète de l’altérité, le poète de l’éternité. » Outre ces recueils de poésie, l’auteur fait paraître quelques nouveaux romans. De Miron, Breton et le mythomane, paru en 2017 à La Grenouillère, Dominic Tardif écrit dans Le Devoir : « Chronique des glorioles imaginaires d’un grand taquin aimant (se) conter des histoires et fabuler une légendaire vie d’aventures, Miron, Breton et le mythomane est le carton d’invitation d’une fête organisée en l’honneur du mensonge auquel s’abreuve n’importe quelle forme de littérature digne de ce nom. » Pour sa part, Dédé blanc-bec reçoit dans Nuit Blanche un commentaire signé Gaétan Bélanger : « Le ton poétique empreint d’humour et de nostalgie adopté par l’auteur rend extrêmement agréable la lecture de ce roman émouvant. Il faut préciser que, tout d’abord, il est un peu déroutant de suivre les bonds fréquents de la narration dans le temps. Plus que de simples digressions, elles donnent parfois l’impression que l’auteur saute du coq à l’âne pour revenir aux mêmes événements, observés sous un angle différent. Mais on s’habitue vite à cette manière ou à ce style et on l’apprécie pour son originalité. Voilà donc un roman au texte minutieusement poli et se démarquant par sa qualité et son audace. » Vierge folle est le dernier roman de l’auteur. La recension parue dans Culture Hebdo se termine avec ces mots : « Nous vous laissons le soin de découvrir la conclusion. Excellent, est un euphémisme. On a adoré. » Ce roman, sans doute le meilleur de l’auteur, s’il a suscité l’enthousiasme de ses lecteurs n’a guère fait l’objet de recensions sérieuses. Pour des recensions sérieuses, il aura fallu attendre l’hiver 2023. Au billet d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie, se sera ajoutée dans Le Devoir une chronique de Louis Cornellier consacrée non pas à un roman ou un recueil, mais à un essai. Le journaliste y salue d’abord le travail entrepris par l’écrivain sur son blogue : « Fin lecteur de poésie, l’écrivain s’y impose comme un critique raffiné, érudit et amical dont le style, limpide et élégant, s’apparente à celui de la conversation relevée. Ces qualités en font une rareté dans le paysage littéraire québécois. » Puis, il rend compte de l’essai : « Dans Le complexe d’Orphée (Nota bene, 2023, 186 pages), l’écrivain se fait plus essayiste que critique en proposant « une manière de promenade » dans laquelle il tente « de saisir la nature de la poésie ». Fidèle à son approche modeste et exploratoire, il déambule en compagnie des poètes et penseurs qu’il aime afin de délimiter son objet, tout en cultivant le souci de ne pas l’enfermer. » Il conclut sa chronique en ces termes : « Partisan des « poèmes limpides » qui disent de « simples vérités », Guénette trouve dans la poésie un antidote « à l’endormissement de [ses] facultés » ou, comme l’écrit Valéry, un discours « chargé de plus de sens, et mêlé de plus de musique, que le langage ordinaire n’en porte et n’en peut porter ». Fénelon aurait aimé ce livre admirable. » La conclusion de l’article d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie était elle aussi plutôt réjouissante : « Romancier accompli (son dernier récit, Vierge folle, est paru en 2021 aux éditions de La Grenouillère), critique littéraire important (son blogue, intitulé Dédé blanc-bec, offre des comptes rendus très étoffés sur des publications québécoises), Daniel Guénette est aussi un poète qui mérite toute notre attention. »

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