Nane Couzier : Le temps glisse le long des jours : Poésie : Éditions David : 2023 : 149 pages

Ce livre paraît dans la collection « Haïku » dirigée par Bertrand Nayet. Sa présentation soignée mérite d’être soulignée. Elle sert admirablement un travail non moins admirable. Après trois épigraphes, le recueil s’ouvre sur une présentation signée Nane Couzier. L’écrivaine y décrit de manière éclairante la matière de son ouvrage.

La présentation s’intitule « De l’instant vécu à l’instant-haïku ». On y découvre une réflexion portant sur les différentes temporalités qui s’inscrivent à l’intérieur du recueil. La poète parle d’une « exploration du temps ». Ces temps, au nombre de trois, correspondent à ceux qu’évoquent les trois citations inaugurales, lesquelles annoncent les sections du recueil. Le premier temps est relatif à « la longueur du jour » évoquée dans le haïku de Kobayashi Issa. Ce jour occupe une année dans le recueil : « ‘Au jour le jour’, nous dit l’écrivaine, réunit des instants saisis au cours d’une année ». Le deuxième temps se situe dans la section intitulée « Jours épars ». On y découvre « les jours lointains » auxquels fait référence un haïku de Shūōshi Mizuhara ; cette section « se présente comme un pèlerinage dans des présents antérieurs entremêlés ». On y lit de très beaux poèmes. « Dans la troisième partie s’ouvre un temps méditatif, extensible, sur fond de considérations métaphysiques. » L’épigraphe qui lui correspond est empruntée à Ozaki Hōsai. Elle se lit comme suit : « au fond de la brume / le bruit de l’eau – / je pars à sa rencontre ».

Première partie du recueil. Tout commence, comme le veut le calendrier, avec le premier jour de l’année. Premier vers : « jour de l’An ». Puis, au fil des pages, ce seront le « jour des Rois », la « Saint-Valentin », « la Saint-Jean », etc. Après un triste Noël viendra le 31 décembre : « brouillard épais / le dernier jour de l’année / sombre dans l’oubli ». N’allons pas croire qu’il y ait ici un procédé fastidieux engendrant une quelconque monotonie. À dire vrai, les quelque 120 haïkus contenus dans cette première partie témoignent déjà de ce qui, dans les suivantes, gagnera en beauté, en humanité, en gravité. Ici, comme ailleurs dans le recueil, les poèmes jamais ne sont insignifiants. Ils peuvent être légers, aériens, témoigner de ce que la vie a de plus charmant – fleurs, oiseaux, instants délicieux – ou se montrer un brin fantaisistes, ils collaborent tous à installer dans le recueil une prégnance qui jamais ne se dément.

Place est faite à la nature. La lune par intermittence revient nous saluer. La neige qui tombe alourdit le silence. La mouette s’égare au milieu de cette absence. Au retour du printemps, « les semis lèvent ». Marquant le temps, les oies reviennent. Celles-ci traversent le recueil. À l’automne, « escadrille / lancée vers le sud / les oies bavardent », puis « des cris au loin / les oies s’arrachent du froid / naissant ».

Les animaux domestiques, dont un chat, sont les compagnons de l’écrivaine. Tandis qu’elle avance « dans le blanc du journal / vers plus de blanc », elle observe « le vieux labrador / sur son tapis fatigué / leur dernier hiver ». Ce blanc du journal dans lequel écrit la poète annonce le tout dernier poème. S’y fera entendre « un crépitement / au sein de la Voie lactée ». Ce blanc symbolise l’inconnu, est l’équivalent du « bruit de l’eau » à la rencontre duquel se dirige Hōsai dans l’une des citations offertes en ouverture.

Ce livre que je lis et relis depuis quelques jours est loin d’être un petit livre. En si peu de mots, la poète a entrepris un long pèlerinage, dans le temps de sa mémoire, dans l’espace aussi auquel l’a ramenée un retour au pays natal. C’était pour y retrouver sa mère. Au comble de l’émotion retenue, mais alors d’autant plus puissante, les haïkus d’apparence anodine révèlent de poignants instants de vie et de mort : « l’accompagner / au courrier ou aux poubelles / ses petits pas », « panne d’ascenseur / marche après marche elle agrippe / la rampe ».

Dans la dernière partie, nous voyons la poète s’apprêter à entrer elle-même dans ce que Shiki appelle la nuit étoilée. On devine que son vieux labrador ne sera plus de ce monde. Les oies continueront leur incessant bavardage, mais la poète sera parvenue au plus blanc de son journal ; elle déposera la plume afin d’aller rejoindre le « noyau des morts [dont sa mère] parlait tant ».

Qu’on se le tienne pour dit, Nane Couzier signe ici un ouvrage remarquable.

Publié dans le numéro 173 du magazine Nuit blanche

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Auteur : Daniel Guénette

Né le 21 mai 1952, Daniel Guénette est originaire de Montréal. Il a vécu la majeure partie de son existence dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Après des études en lettres à l’Université de Montréal, où il obtient un diplôme de maîtrise en création littéraire, il enseigne la littérature au cégep de Granby. En 2011, il prend sa retraite après 34 années d’enseignement. À l’aube de la soixantaine, il renoue avec l’écriture qu’il avait cessé de pratiquer durant près de vingt ans. Il publie chez Triptyque deux recueils de poésie, Traité de l’Incertain en 2013 et Carmen quadratum en 2016, ainsi qu’un récit, L’École des Chiens, en 2015. Dans son œuvre antérieure alternaient ouvrages de poésie (3 titres au Noroît, 2 chez Triptyque) et productions romanesques (3 titres chez Triptyque). Ces ouvrages furent publiés entre 1985 et 1996. L’ensemble fut bien reçu par la critique. À l’occasion du vingtième anniversaire des éditions Triptyque, feu Réginald Martel écrivait : « Et on soupçonne que bien des éditeurs seraient ravis d’inscrire à leur catalogue, parmi quelques auteurs de Triptyque, le nom d’un Daniel Guénette, par exemple. » J. Desraspes a enchanté Jean-Roch Boivin : « Ce roman est un délicieux apéritif, robuste et délicat, son auteur un écrivain de talent et de grands moyens. » Réginald Martel parle d’un roman « qu’on dévore sans reprendre son souffle » ; il salue également la parution des romans qui suivent, se montrant surtout favorable à L’écharpe d’Iris. Pierre Salducci écrit dans Le Devoir un article élogieux sur ce roman : « L’écharpe d’Iris est une réussite, une petite musique qui nous parle de la nature humaine et qu’on n’arrive pas à oublier. Un roman magnifique, un vrai. Pas un phénomène de mode. Pas un produit branché et périssable. Mais de la littérature. Tout simplement. » L’École des Chiens, qui en 2015 marque le retour de l’auteur au récit, a été commentée par divers blogueurs, dont le poète Jacques Gauthier : « Ce beau récit du poète Daniel Guénette évoque, avec pudeur et humilité, les onze années vécues auprès de Max qu’il a dû faire euthanasier à cause d’un cancer. Ils sont rares de tels livres qui traitent si tendrement de la relation entre un homme et son animal de compagnie. Ça parle de vie et de mort, d’attachement et d’amitié, d’enfance et de solitude. » Pour sa part, Topinambulle écrit : « Dans ce très beau récit, un homme apprivoise doucement le deuil de son chien. À la manière de Rousseau, Daniel Guénette nous invite à le suivre dans ses promenades, dans les méandres de ses souvenirs, où l'évocation de l'ami fidèle nous servira de guide. ». Dominic Tardif, dans Le Devoir, 4 juillet 2015 a rendu compte chaleureusement de L’école des chiens. Il a souligné qu’avec ce récit, l’auteur avait produit « de la vraie littérature » : « Plus qu’un livre sur un maître et son animal, L’école des chiens célèbre le pouvoir de l’écriture qui, chez Daniel Guénette, n’aspire pas à remplacer l’en allé, mais bien à en continuer la vie. » Recommandé avec enthousiasme à ses téléspectateurs, L’école des chiens a fait l’objet d’un échange de cadeaux à l’émission LIRE présentée sur ARTV. À partir de 1975, l’auteur a collaboré à diverses revues de littérature à titre de poète et de critique. On a pu lire ses recensions dans la revue Mœbius. Pour l’une d’elles, l’auteur a été finaliste au Prix d’excellence de la SODEP 2016, dans la catégorie Texte d’opinion critique sur une œuvre littéraire ou artistique. Plus récemment, l’auteur a publié deux nouveaux titres en poésie, Varia au Noroît en 2018 et, à l’hiver 2023, La châtaigneraie aux Éditions de la Grenouillère. Pour ce recueil, le poète a été finaliste au Prix d’excellence du webmagazine La Métropole. Dans la recension que réserve à cet ouvrage la revue LQ, le critique Antoine Boisclair écrit: « Ce recueil émouvant, très maîtrisé du point de vue formel, témoigne d’un savoir-faire indéniable. » Le critique et poète français Pierre Perrin écrit dans sa revue trimestrielle de littérature, la revue française « Possibles », ne pas confondre avec la revue québécoise du même nom : « Daniel Guénette a le vers sûr, souvent proche de l’alexandrin, parfois très bref. Il sait restituer une vie, avec sa foudre, ses éclairs, et les moments de calme, voire de communion. La Châtaigneraie constitue un beau recueil presque filial. » Pour sa part, dans Le Ou'tam’si magazine, Nathasha Pemba déclare que « La châtaigneraie est un recueil de poésie qui a l’allure d’un hommage, d’un renouvellement du contrat amical. C’est une poésie ontologique qui va au fond des choses pour faire émerger l’être. Daniel Guénette une fois plus confirme qu’il est poète, le poète de l’amitié, le poète de l’altérité, le poète de l’éternité. » Outre ces recueils de poésie, l’auteur fait paraître quelques nouveaux romans. De Miron, Breton et le mythomane, paru en 2017 à La Grenouillère, Dominic Tardif écrit dans Le Devoir : « Chronique des glorioles imaginaires d’un grand taquin aimant (se) conter des histoires et fabuler une légendaire vie d’aventures, Miron, Breton et le mythomane est le carton d’invitation d’une fête organisée en l’honneur du mensonge auquel s’abreuve n’importe quelle forme de littérature digne de ce nom. » Pour sa part, Dédé blanc-bec reçoit dans Nuit Blanche un commentaire signé Gaétan Bélanger : « Le ton poétique empreint d’humour et de nostalgie adopté par l’auteur rend extrêmement agréable la lecture de ce roman émouvant. Il faut préciser que, tout d’abord, il est un peu déroutant de suivre les bonds fréquents de la narration dans le temps. Plus que de simples digressions, elles donnent parfois l’impression que l’auteur saute du coq à l’âne pour revenir aux mêmes événements, observés sous un angle différent. Mais on s’habitue vite à cette manière ou à ce style et on l’apprécie pour son originalité. Voilà donc un roman au texte minutieusement poli et se démarquant par sa qualité et son audace. » Vierge folle est le dernier roman de l’auteur. La recension parue dans Culture Hebdo se termine avec ces mots : « Nous vous laissons le soin de découvrir la conclusion. Excellent, est un euphémisme. On a adoré. » Ce roman, sans doute le meilleur de l’auteur, s’il a suscité l’enthousiasme de ses lecteurs n’a guère fait l’objet de recensions sérieuses. Pour des recensions sérieuses, il aura fallu attendre l’hiver 2023. Au billet d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie, se sera ajoutée dans Le Devoir une chronique de Louis Cornellier consacrée non pas à un roman ou un recueil, mais à un essai. Le journaliste y salue d’abord le travail entrepris par l’écrivain sur son blogue : « Fin lecteur de poésie, l’écrivain s’y impose comme un critique raffiné, érudit et amical dont le style, limpide et élégant, s’apparente à celui de la conversation relevée. Ces qualités en font une rareté dans le paysage littéraire québécois. » Puis, il rend compte de l’essai : « Dans Le complexe d’Orphée (Nota bene, 2023, 186 pages), l’écrivain se fait plus essayiste que critique en proposant « une manière de promenade » dans laquelle il tente « de saisir la nature de la poésie ». Fidèle à son approche modeste et exploratoire, il déambule en compagnie des poètes et penseurs qu’il aime afin de délimiter son objet, tout en cultivant le souci de ne pas l’enfermer. » Il conclut sa chronique en ces termes : « Partisan des « poèmes limpides » qui disent de « simples vérités », Guénette trouve dans la poésie un antidote « à l’endormissement de [ses] facultés » ou, comme l’écrit Valéry, un discours « chargé de plus de sens, et mêlé de plus de musique, que le langage ordinaire n’en porte et n’en peut porter ». Fénelon aurait aimé ce livre admirable. » La conclusion de l’article d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie était elle aussi plutôt réjouissante : « Romancier accompli (son dernier récit, Vierge folle, est paru en 2021 aux éditions de La Grenouillère), critique littéraire important (son blogue, intitulé Dédé blanc-bec, offre des comptes rendus très étoffés sur des publications québécoises), Daniel Guénette est aussi un poète qui mérite toute notre attention. »

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