Michel Pleau : Montagne légère : Poésie : Les Éditions David : Collection Haïku : 2025 : 86 pages

Le haïku est sans doute le roi des petits poèmes. Dans sa forme traditionnelle, il compte trois vers composés de cinq, sept et cinq syllabes. La montagne est la reine des paysages, qu’elle domine par son imposante stature. Il est amusant de voir un poète célébrer la beauté d’une montagne en lui consacrant les brèves annotations que sont des haïkus. On peut voir là une manière de paradoxe. Dont témoigne le titre du recueil. L’oxymore qui le constitue donne à réfléchir ; il révèle un aspect secret de la montagne, à savoir sa légèreté. Montagne légère. Pour la saluer, le poète emprunte à la plus fine légèreté qui soit. Celle du poème bref. Il choisit de dire la solide et toute aérienne présence de la montagne en la jumelant au nuage. En lui attribuant le si peu de poids qu’on associe au nuage. La montagne devient alors nuage, le haïku aussi, qui les met en vis-à-vis, en miroir. Il ne serait pas étonnant que le poète lui-même au fil de son long entretien avec la montagne devienne lui-même une montagne, un nuage, un haïku. Mais, ne nous emportons pas. Suivons plutôt l’exemple du poète. Il nous convie au calme, à la contemplation et non au débordement. Ne lui faisons pas dire ce qu’il ne dit pas. Toutefois, sa leçon ne nous incite-t-elle pas quelque peu à réinventer, lire à notre manière, récrire ? En effet, dans un bref avant-propos intitulé « Lire la montagne », le poète écrit : « On lit la lumière d’un haïku. Mais si on ferme les yeux un instant, un autre haïku commence à s’écrire en nous. C’est peut-être cela qu’on appelle lire ? »

Si cela est lire, je veux bien qu’il en soit ainsi. Mais, tout d’abord, je souhaite m’en tenir à la lumière propre aux haïkus de Michel Pleau et à garder les yeux bien ouverts pour m’en imprégner, quitte à accepter par la suite de prendre place sur sa galerie, aux côtés du poète qui désire que nous fassions nôtre la montagne légère devant laquelle il a passé l’essentiel de l’été de ses soixante ans.

Il faut ici prendre au pied de la lettre le mot « essentiel », en l’arrimant non seulement à l’été, mais aussi à l’être de contemplation qu’est celui qui a entretenu un rapport si étroit avec la montagne, à un point tel qu’il en aura été profondément transformé, altéré dans son essence même. Le poète a passé le plus clair de son temps à vivre avec la montagne une histoire de réciprocité : pendant toute une saison, la montagne lui a parlé, il l’a écoutée ; et enfin, il a traduit en haïkus l’essentiel des propos que lui tenait la montagne à travers son majestueux silence : « le bel été —  / je me fais traducteur / de montagne ».

***

Je pourrais interrompre ce compte-rendu, vous renvoyer tout bonnement à la lecture de ce petit ouvrage. Le lire, chacun, chacune pour soi, constitue une expérience qui en soi se suffit amplement. En vérité ce livre ne demande pas à être traduit. Il est du genre qu’on parcourt lentement, qu’on prend plaisir à relire plus d’une fois. Il est si clair que tenter de l’éclairer, c’est bien malgré soi y ajouter des ombres dont il n’a que faire.

La poésie de Michel Pleau est simple, aussi simple qu’une montagne. Mais rappelons-nous le titre, la montagne est légère. Quelque chose nous a échappé si, au contraire, nous la pensions lourde, comme un nuage tombé du ciel, métamorphosé en un pesant bloc de minerai, de terre et de poussière. Il en va ainsi des poèmes de Michel Pleau, en apparence légers, transparents, et livrant instantanément leur signification. Or, cela n’est pas si faux. Certains poèmes, en effet, sont d’une simplicité désarmante, à tel point que l’outillage du décrypteur savant paraît vite superfétatoire ; point n’est besoin de posséder la panoplie des instruments du sémiologue pour lire et comprendre de tels haïkus. Plutôt, il faut posséder une âme, un cœur non pas larmoyant, mais sensible aux nuances de la vie et du sentiment, de la pensée, de la contemplation, de la poésie, voire du sacré. Ces poèmes en apparence si simples offrent à notre imagination un réel tremplin grâce auquel nous élever afin d’atteindre, peut-être, à la hauteur de la montagne, puis, redescendre avec elle dans les entrailles de la Terre où ses fondements plongent leurs racines. Plus modestement pouvons-nous du moins descendre au fond de nous-mêmes, entreprendre cette sorte de mue qu’a connue le poète en s’installant sur sa galerie pour observer la montagne et en proposer par haïkus interposés ce qu’il appelle des traductions.

On aura compris : tout cela est charmant, mais encore plus que charmant. C’est qu’il nous est donné ici de vivre une véritable expérience, de lecture bien entendu, mais aussi de vie. Un homme note dans un carnet des impressions, trace des mots, peu de mots, chaque fois ceux d’un haïku. Sa galerie lui offre un vaste panorama présenté en ces termes dans le très beau texte ouvrant le recueil : « Je me suis fait berger sans le vouloir, guetteur d’un troupeau de montagnes : les Laurentides, longue chaîne montagneuse formée il y a un milliard d’années. »

En lisant ses vers, nous nous installons à ses côtés afin de lire la montagne et, ultimement peut-être, l’écrire à notre tour. Ce ne sera pas la même montagne, mais assurément c’en sera une. Et de même qu’une montagne se fait nuage dans un poème de Michel Pleau, de même les nuages que de notre propre galerie nous contemplerons deviendront-ils des montagnes. Pour peu que nous les observions longuement, amoureusement, nous en viendrons à faire nos propres découvertes, à parcourir à l’instar du poète un chemin nous conduisant en un lieu où se manifestera de la présence. D’aucuns décrient le terme de présence ou plutôt contestent que la poésie puisse en permettre l’assomption, la manifestation. Certes, à cette Rome métaphysique mène plus d’un chemin ; la poésie n’en serait qu’un parmi d’autres. Mais qu’elle parvienne à traduire cette présence, nul n’en peut douter et, si besoin était, des poèmes comme ceux que nous lisons ici l’attestent indéniablement.

la patience du ciel —
comme arrêté
juste devant moi 

*

la montagne intérieure —
dessiner
sa présence

*

Et celui-ci qui est très beau. Prégnant, si l’on préfère. 

brièvement retrouvé —
le premier ciel
de mon enfance

*

Le recueil possède une grande unité, laquelle est non dépourvue de variété. On y voit de petites scènes de la vie quotidienne, la plupart ayant lieu dans le parc que surplombe la galerie du poète ; d’autres mettent en vedette une petite fille, ainsi qu’une jeune voisine croisée dans l’escalier, des oiseaux, un escargot et deux mouches dont l’une, sur un trognon de pomme. Cet insecte figure le microcosme, là où la montagne et le ciel représentent la vastitude du cosmos et de l’Univers.

Tous les haïkus sont complets en soi, forment un tout, à l’exception de deux qui, sur une même page, fonctionnent pour ainsi dire en écho.

devant la montagne —
je passe l’après-midi
à lui ressembler

devant la montagne —
je passe l’après-midi
à me rassembler

Un autre haïku donne lui aussi à réfléchir. Le voici : « pour vraiment toucher / la montagne — combien de pas ? » Bonne question. En fait, on peut se demander où exactement commence une montagne, sa base correspondant toujours, du moins j’imagine, à de longs espaces tout autour, dont les pentes sont plus ou moins prononcées, faiblement d’abord, puis se manifestant ostensiblement au fur et à mesure que la montagne s’affirme en tant que telle.

***

Il y a quelques heures, à la fin d’un après-midi enfumé par les feux de forêt qui sévissent dans l’Ouest, je relisais depuis mon balcon les poèmes de Michel Pleau. Chez moi, pas de montagne en perspective, mais à mes pieds, de l’autre côté de la rue, un parc, tout comme dans le recueil du poète. Dans mon ciel laurentien, pas que des oiseaux, mais des avions qui viennent tout juste de décoller. Du bruit et non pas le silence de la montagne. Pas que des avions bruyants, mais aussi des nuages, et dans le ciel immense, un soleil rougi par l’épaisseur de l’air et s’apprêtant à descendre en tirant derrière lui le sombre rideau du jour et de la nuit. Les poèmes de Pleau se déposaient tout doucement dans mon être. Des résonances s’établissaient, des connivences. Le poète parle du temps qui passe, du vieillissement inéluctable. Il n’en fait pas un drame. Au contraire, vers la fin de son recueil, un haïku exprime un sentiment de paix et de bien-être, en accord profond avec la présence tellurique de la montagne : 

avec le paysage —
soudain la brève sensation
d’un accueil 

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Auteur : Daniel Guénette

Né le 21 mai 1952, Daniel Guénette est originaire de Montréal. Il a vécu la majeure partie de son existence dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Après des études en lettres à l’Université de Montréal, où il obtient un diplôme de maîtrise en création littéraire, il enseigne la littérature au cégep de Granby. En 2011, il prend sa retraite après 34 années d’enseignement. À l’aube de la soixantaine, il renoue avec l’écriture qu’il avait cessé de pratiquer durant près de vingt ans. Il publie chez Triptyque deux recueils de poésie, Traité de l’Incertain en 2013 et Carmen quadratum en 2016, ainsi qu’un récit, L’École des Chiens, en 2015. Dans son œuvre antérieure alternaient ouvrages de poésie (3 titres au Noroît, 2 chez Triptyque) et productions romanesques (3 titres chez Triptyque). Ces ouvrages furent publiés entre 1985 et 1996. L’ensemble fut bien reçu par la critique. À l’occasion du vingtième anniversaire des éditions Triptyque, feu Réginald Martel écrivait : « Et on soupçonne que bien des éditeurs seraient ravis d’inscrire à leur catalogue, parmi quelques auteurs de Triptyque, le nom d’un Daniel Guénette, par exemple. » J. Desraspes a enchanté Jean-Roch Boivin : « Ce roman est un délicieux apéritif, robuste et délicat, son auteur un écrivain de talent et de grands moyens. » Réginald Martel parle d’un roman « qu’on dévore sans reprendre son souffle » ; il salue également la parution des romans qui suivent, se montrant surtout favorable à L’écharpe d’Iris. Pierre Salducci écrit dans Le Devoir un article élogieux sur ce roman : « L’écharpe d’Iris est une réussite, une petite musique qui nous parle de la nature humaine et qu’on n’arrive pas à oublier. Un roman magnifique, un vrai. Pas un phénomène de mode. Pas un produit branché et périssable. Mais de la littérature. Tout simplement. » L’École des Chiens, qui en 2015 marque le retour de l’auteur au récit, a été commentée par divers blogueurs, dont le poète Jacques Gauthier : « Ce beau récit du poète Daniel Guénette évoque, avec pudeur et humilité, les onze années vécues auprès de Max qu’il a dû faire euthanasier à cause d’un cancer. Ils sont rares de tels livres qui traitent si tendrement de la relation entre un homme et son animal de compagnie. Ça parle de vie et de mort, d’attachement et d’amitié, d’enfance et de solitude. » Pour sa part, Topinambulle écrit : « Dans ce très beau récit, un homme apprivoise doucement le deuil de son chien. À la manière de Rousseau, Daniel Guénette nous invite à le suivre dans ses promenades, dans les méandres de ses souvenirs, où l'évocation de l'ami fidèle nous servira de guide. ». Dominic Tardif, dans Le Devoir, 4 juillet 2015 a rendu compte chaleureusement de L’école des chiens. Il a souligné qu’avec ce récit, l’auteur avait produit « de la vraie littérature » : « Plus qu’un livre sur un maître et son animal, L’école des chiens célèbre le pouvoir de l’écriture qui, chez Daniel Guénette, n’aspire pas à remplacer l’en allé, mais bien à en continuer la vie. » Recommandé avec enthousiasme à ses téléspectateurs, L’école des chiens a fait l’objet d’un échange de cadeaux à l’émission LIRE présentée sur ARTV. À partir de 1975, l’auteur a collaboré à diverses revues de littérature à titre de poète et de critique. On a pu lire ses recensions dans la revue Mœbius. Pour l’une d’elles, l’auteur a été finaliste au Prix d’excellence de la SODEP 2016, dans la catégorie Texte d’opinion critique sur une œuvre littéraire ou artistique. Plus récemment, l’auteur a publié deux nouveaux titres en poésie, Varia au Noroît en 2018 et, à l’hiver 2023, La châtaigneraie aux Éditions de la Grenouillère. Pour ce recueil, le poète a été finaliste au Prix d’excellence du webmagazine La Métropole. Dans la recension que réserve à cet ouvrage la revue LQ, le critique Antoine Boisclair écrit: « Ce recueil émouvant, très maîtrisé du point de vue formel, témoigne d’un savoir-faire indéniable. » Le critique et poète français Pierre Perrin écrit dans sa revue trimestrielle de littérature, la revue française « Possibles », ne pas confondre avec la revue québécoise du même nom : « Daniel Guénette a le vers sûr, souvent proche de l’alexandrin, parfois très bref. Il sait restituer une vie, avec sa foudre, ses éclairs, et les moments de calme, voire de communion. La Châtaigneraie constitue un beau recueil presque filial. » Pour sa part, dans Le Ou'tam’si magazine, Nathasha Pemba déclare que « La châtaigneraie est un recueil de poésie qui a l’allure d’un hommage, d’un renouvellement du contrat amical. C’est une poésie ontologique qui va au fond des choses pour faire émerger l’être. Daniel Guénette une fois plus confirme qu’il est poète, le poète de l’amitié, le poète de l’altérité, le poète de l’éternité. » Outre ces recueils de poésie, l’auteur fait paraître quelques nouveaux romans. De Miron, Breton et le mythomane, paru en 2017 à La Grenouillère, Dominic Tardif écrit dans Le Devoir : « Chronique des glorioles imaginaires d’un grand taquin aimant (se) conter des histoires et fabuler une légendaire vie d’aventures, Miron, Breton et le mythomane est le carton d’invitation d’une fête organisée en l’honneur du mensonge auquel s’abreuve n’importe quelle forme de littérature digne de ce nom. » Pour sa part, Dédé blanc-bec reçoit dans Nuit Blanche un commentaire signé Gaétan Bélanger : « Le ton poétique empreint d’humour et de nostalgie adopté par l’auteur rend extrêmement agréable la lecture de ce roman émouvant. Il faut préciser que, tout d’abord, il est un peu déroutant de suivre les bonds fréquents de la narration dans le temps. Plus que de simples digressions, elles donnent parfois l’impression que l’auteur saute du coq à l’âne pour revenir aux mêmes événements, observés sous un angle différent. Mais on s’habitue vite à cette manière ou à ce style et on l’apprécie pour son originalité. Voilà donc un roman au texte minutieusement poli et se démarquant par sa qualité et son audace. » Vierge folle est le dernier roman de l’auteur. La recension parue dans Culture Hebdo se termine avec ces mots : « Nous vous laissons le soin de découvrir la conclusion. Excellent, est un euphémisme. On a adoré. » Ce roman, sans doute le meilleur de l’auteur, s’il a suscité l’enthousiasme de ses lecteurs n’a guère fait l’objet de recensions sérieuses. Pour des recensions sérieuses, il aura fallu attendre l’hiver 2023. Au billet d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie, se sera ajoutée dans Le Devoir une chronique de Louis Cornellier consacrée non pas à un roman ou un recueil, mais à un essai. Le journaliste y salue d’abord le travail entrepris par l’écrivain sur son blogue : « Fin lecteur de poésie, l’écrivain s’y impose comme un critique raffiné, érudit et amical dont le style, limpide et élégant, s’apparente à celui de la conversation relevée. Ces qualités en font une rareté dans le paysage littéraire québécois. » Puis, il rend compte de l’essai : « Dans Le complexe d’Orphée (Nota bene, 2023, 186 pages), l’écrivain se fait plus essayiste que critique en proposant « une manière de promenade » dans laquelle il tente « de saisir la nature de la poésie ». Fidèle à son approche modeste et exploratoire, il déambule en compagnie des poètes et penseurs qu’il aime afin de délimiter son objet, tout en cultivant le souci de ne pas l’enfermer. » Il conclut sa chronique en ces termes : « Partisan des « poèmes limpides » qui disent de « simples vérités », Guénette trouve dans la poésie un antidote « à l’endormissement de [ses] facultés » ou, comme l’écrit Valéry, un discours « chargé de plus de sens, et mêlé de plus de musique, que le langage ordinaire n’en porte et n’en peut porter ». Fénelon aurait aimé ce livre admirable. » La conclusion de l’article d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie était elle aussi plutôt réjouissante : « Romancier accompli (son dernier récit, Vierge folle, est paru en 2021 aux éditions de La Grenouillère), critique littéraire important (son blogue, intitulé Dédé blanc-bec, offre des comptes rendus très étoffés sur des publications québécoises), Daniel Guénette est aussi un poète qui mérite toute notre attention. »

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