
Le haïku est sans doute le roi des petits poèmes. Dans sa forme traditionnelle, il compte trois vers composés de cinq, sept et cinq syllabes. La montagne est la reine des paysages, qu’elle domine par son imposante stature. Il est amusant de voir un poète célébrer la beauté d’une montagne en lui consacrant les brèves annotations que sont des haïkus. On peut voir là une manière de paradoxe. Dont témoigne le titre du recueil. L’oxymore qui le constitue donne à réfléchir ; il révèle un aspect secret de la montagne, à savoir sa légèreté. Montagne légère. Pour la saluer, le poète emprunte à la plus fine légèreté qui soit. Celle du poème bref. Il choisit de dire la solide et toute aérienne présence de la montagne en la jumelant au nuage. En lui attribuant le si peu de poids qu’on associe au nuage. La montagne devient alors nuage, le haïku aussi, qui les met en vis-à-vis, en miroir. Il ne serait pas étonnant que le poète lui-même au fil de son long entretien avec la montagne devienne lui-même une montagne, un nuage, un haïku. Mais, ne nous emportons pas. Suivons plutôt l’exemple du poète. Il nous convie au calme, à la contemplation et non au débordement. Ne lui faisons pas dire ce qu’il ne dit pas. Toutefois, sa leçon ne nous incite-t-elle pas quelque peu à réinventer, lire à notre manière, récrire ? En effet, dans un bref avant-propos intitulé « Lire la montagne », le poète écrit : « On lit la lumière d’un haïku. Mais si on ferme les yeux un instant, un autre haïku commence à s’écrire en nous. C’est peut-être cela qu’on appelle lire ? »
Si cela est lire, je veux bien qu’il en soit ainsi. Mais, tout d’abord, je souhaite m’en tenir à la lumière propre aux haïkus de Michel Pleau et à garder les yeux bien ouverts pour m’en imprégner, quitte à accepter par la suite de prendre place sur sa galerie, aux côtés du poète qui désire que nous fassions nôtre la montagne légère devant laquelle il a passé l’essentiel de l’été de ses soixante ans.
Il faut ici prendre au pied de la lettre le mot « essentiel », en l’arrimant non seulement à l’été, mais aussi à l’être de contemplation qu’est celui qui a entretenu un rapport si étroit avec la montagne, à un point tel qu’il en aura été profondément transformé, altéré dans son essence même. Le poète a passé le plus clair de son temps à vivre avec la montagne une histoire de réciprocité : pendant toute une saison, la montagne lui a parlé, il l’a écoutée ; et enfin, il a traduit en haïkus l’essentiel des propos que lui tenait la montagne à travers son majestueux silence : « le bel été — / je me fais traducteur / de montagne ».
***
Je pourrais interrompre ce compte-rendu, vous renvoyer tout bonnement à la lecture de ce petit ouvrage. Le lire, chacun, chacune pour soi, constitue une expérience qui en soi se suffit amplement. En vérité ce livre ne demande pas à être traduit. Il est du genre qu’on parcourt lentement, qu’on prend plaisir à relire plus d’une fois. Il est si clair que tenter de l’éclairer, c’est bien malgré soi y ajouter des ombres dont il n’a que faire.
La poésie de Michel Pleau est simple, aussi simple qu’une montagne. Mais rappelons-nous le titre, la montagne est légère. Quelque chose nous a échappé si, au contraire, nous la pensions lourde, comme un nuage tombé du ciel, métamorphosé en un pesant bloc de minerai, de terre et de poussière. Il en va ainsi des poèmes de Michel Pleau, en apparence légers, transparents, et livrant instantanément leur signification. Or, cela n’est pas si faux. Certains poèmes, en effet, sont d’une simplicité désarmante, à tel point que l’outillage du décrypteur savant paraît vite superfétatoire ; point n’est besoin de posséder la panoplie des instruments du sémiologue pour lire et comprendre de tels haïkus. Plutôt, il faut posséder une âme, un cœur non pas larmoyant, mais sensible aux nuances de la vie et du sentiment, de la pensée, de la contemplation, de la poésie, voire du sacré. Ces poèmes en apparence si simples offrent à notre imagination un réel tremplin grâce auquel nous élever afin d’atteindre, peut-être, à la hauteur de la montagne, puis, redescendre avec elle dans les entrailles de la Terre où ses fondements plongent leurs racines. Plus modestement pouvons-nous du moins descendre au fond de nous-mêmes, entreprendre cette sorte de mue qu’a connue le poète en s’installant sur sa galerie pour observer la montagne et en proposer par haïkus interposés ce qu’il appelle des traductions.
On aura compris : tout cela est charmant, mais encore plus que charmant. C’est qu’il nous est donné ici de vivre une véritable expérience, de lecture bien entendu, mais aussi de vie. Un homme note dans un carnet des impressions, trace des mots, peu de mots, chaque fois ceux d’un haïku. Sa galerie lui offre un vaste panorama présenté en ces termes dans le très beau texte ouvrant le recueil : « Je me suis fait berger sans le vouloir, guetteur d’un troupeau de montagnes : les Laurentides, longue chaîne montagneuse formée il y a un milliard d’années. »
En lisant ses vers, nous nous installons à ses côtés afin de lire la montagne et, ultimement peut-être, l’écrire à notre tour. Ce ne sera pas la même montagne, mais assurément c’en sera une. Et de même qu’une montagne se fait nuage dans un poème de Michel Pleau, de même les nuages que de notre propre galerie nous contemplerons deviendront-ils des montagnes. Pour peu que nous les observions longuement, amoureusement, nous en viendrons à faire nos propres découvertes, à parcourir à l’instar du poète un chemin nous conduisant en un lieu où se manifestera de la présence. D’aucuns décrient le terme de présence ou plutôt contestent que la poésie puisse en permettre l’assomption, la manifestation. Certes, à cette Rome métaphysique mène plus d’un chemin ; la poésie n’en serait qu’un parmi d’autres. Mais qu’elle parvienne à traduire cette présence, nul n’en peut douter et, si besoin était, des poèmes comme ceux que nous lisons ici l’attestent indéniablement.
la patience du ciel —
comme arrêté
juste devant moi
*
la montagne intérieure —
dessiner
sa présence
*
Et celui-ci qui est très beau. Prégnant, si l’on préfère.
brièvement retrouvé —
le premier ciel
de mon enfance
*
Le recueil possède une grande unité, laquelle est non dépourvue de variété. On y voit de petites scènes de la vie quotidienne, la plupart ayant lieu dans le parc que surplombe la galerie du poète ; d’autres mettent en vedette une petite fille, ainsi qu’une jeune voisine croisée dans l’escalier, des oiseaux, un escargot et deux mouches dont l’une, sur un trognon de pomme. Cet insecte figure le microcosme, là où la montagne et le ciel représentent la vastitude du cosmos et de l’Univers.
Tous les haïkus sont complets en soi, forment un tout, à l’exception de deux qui, sur une même page, fonctionnent pour ainsi dire en écho.
devant la montagne —
je passe l’après-midi
à lui ressembler
devant la montagne —
je passe l’après-midi
à me rassembler
Un autre haïku donne lui aussi à réfléchir. Le voici : « pour vraiment toucher / la montagne — combien de pas ? » Bonne question. En fait, on peut se demander où exactement commence une montagne, sa base correspondant toujours, du moins j’imagine, à de longs espaces tout autour, dont les pentes sont plus ou moins prononcées, faiblement d’abord, puis se manifestant ostensiblement au fur et à mesure que la montagne s’affirme en tant que telle.
***
Il y a quelques heures, à la fin d’un après-midi enfumé par les feux de forêt qui sévissent dans l’Ouest, je relisais depuis mon balcon les poèmes de Michel Pleau. Chez moi, pas de montagne en perspective, mais à mes pieds, de l’autre côté de la rue, un parc, tout comme dans le recueil du poète. Dans mon ciel laurentien, pas que des oiseaux, mais des avions qui viennent tout juste de décoller. Du bruit et non pas le silence de la montagne. Pas que des avions bruyants, mais aussi des nuages, et dans le ciel immense, un soleil rougi par l’épaisseur de l’air et s’apprêtant à descendre en tirant derrière lui le sombre rideau du jour et de la nuit. Les poèmes de Pleau se déposaient tout doucement dans mon être. Des résonances s’établissaient, des connivences. Le poète parle du temps qui passe, du vieillissement inéluctable. Il n’en fait pas un drame. Au contraire, vers la fin de son recueil, un haïku exprime un sentiment de paix et de bien-être, en accord profond avec la présence tellurique de la montagne :
avec le paysage —
soudain la brève sensation
d’un accueil

Une réflexion sur « Michel Pleau : Montagne légère : Poésie : Les Éditions David : Collection Haïku : 2025 : 86 pages »