Qu’on ne s’attende pas ici à une recension, encore moins à une critique ou, comme j’aime à les appeler, une « petite étude ». On aura plutôt affaire, j’allais dire à une confession, en tout cas à un ensemble de réflexions sur ce que sont la littérature, la lecture et l’écriture. Ces réflexions prendront racine dans l’anecdote, en cela qu’elles seront suscitées par les conjonctures dans lesquelles j’ai été amené à ouvrir pour mon plus grand bonheur le tout dernier roman de l’auteur étonnant qu’est, je ne dis pas que fut François Barcelo.
Certes, L’homme pendu au bout de la corde mériterait amplement une lecture attentive, une étude savante axée sur la « mécanique » de ses rouages narratifs, sa structure, sa composition et donc tout ce qui a trait à la conduite bien menée d’une intrigue policière. On se pencherait sur les techniques utilisées par l’auteur. Utilisées avec brio. D’aucuns parleraient de recettes. Et sourire en coin, afficheraient un certain mépris à l’endroit des précédés employés par le romancier, mépris dont un Barcelo s’il était encore de ce monde n’aurait que faire, car l’homme plus que tout autre savait que pour rédiger un bon roman il ne suffit pas de mélanger un ensemble d’ingrédients, de se montrer docile aux lois du genre.
Évidemment, Barcelo connaissait la musique et savait danser. Il avait fait ses classes à l’école de la lecture et de l’écriture. Mais on a beau dire, le plus consciencieux de tous les élèves aura beau s’user durant cent ans le fond de culotte sur un banc d’école, pour que la magie opère, il ne suffit pas d’avoir plus d’un tour dans son sac. Encore faut-il être doué pour les miracles, avoir dans la cervelle cette petite merveille qu’on appelle le génie. Est-ce un don ? Il me plaît de le croire. Un don que l’acquis au fil du temps accroît. Mais au départ, il faut cette étincelle, ce feu intérieur qui est affaire de passion, de passion pour l’écriture. Le savoir-faire se développe. Il en résulte alors quelque chose comme ce livre. Mais ce n’est pas si simple. J’y reviendrai.
J’ouvrais cette chronique en évoquant les circonstances qui m’ont conduit à entreprendre la lecture de ce roman. Ce sont de tristes circonstances. J’ai fait tout récemment la rencontre de l’auteur. C’était à l’occasion du lancement collectif des ouvrages parus ce printemps aux Éditions de La Grenouillère. Le lancement eut lieu le 20 mars 2025 à l’Atelier-Librairie Le Livre voyageur. Outre François Barcelo, l’événement réunissait quelques auteurs dont Claire Varin, Michel Lord, Ariane Cloutier à qui l’on doit les illustrations de la Marie Réparatrice de l’éditeur Louis-Philippe Hébert, ainsi que moi-même.
À cette occasion, je prenais place à la table des auteurs aux côtés de François Barcelo. Nous échangeâmes quelques paroles. Il présenta son roman, je lus quelques poèmes et les autres s’exécutèrent à leur tour. Ce fut un beau lancement. Mais voilà, la suite a de quoi nous attrister. On apprenait quelques semaines plus tard le décès du romancier. J’annonçais ci-haut des réflexions. Je ne me lancerai pas dans les sables mouvants des grandes questions du genre : qu’est-ce que la littérature ? Cependant, je ne puis m’empêcher de remarquer et d’avouer que, n’eût été le décès de l’auteur, je n’aurais peut-être pas entrepris la lecture de son dernier roman. C’est que, comme tout un chacun, ma table de chevet déborde de livres, notamment de recueils de poésie en attente d’une recension ici ou ailleurs. Du reste, je lis rarement des romans policiers. C’est comme ça.
Mon exemplaire gentiment dédicacé par son auteur aurait sans doute subi le sort que malheureusement connaissent de nombreux livres. On ne les lit pas. Pour qu’ils soient lus, il faut que du bruit les entoure, celui de la publicité entre autres, une présence assidue de l’auteur dans les médias, radio, presse et réseaux sociaux. Le décès de François Barcelo m’a secoué. Ce monsieur quelques semaines plus tôt était assis à mes côtés. Et voilà ! Fini. C’en était fini de sa vie. À mes yeux, cela ne pouvait s’arrêter ainsi. Je devais lire son roman. Je m’en faisais un devoir, histoire de faire revivre l’auteur en ravivant son esprit, en redonnant par la lecture vie à son écriture. Et puis, me disais-je, lire un roman, gratuitement, sans songer à en faire une recension, une analyse, une petite étude, cela très certainement me ferait du bien, me changerait les idées. L’homme au bout de la corde m’attendait. Il allait combler mes attentes.
Autant le dire tout net, ce roman est captivant. Je crains ne pas me montrer à sa hauteur en tentant de justifier ce jugement. Captivant, pourquoi ? En quoi ? Eh bien ! Tout est sans doute ici une question de présence. Dès les premières pages du roman, un personnage est là, vivant, qui s’adresse à nous. À la cinquième ligne du premier chapitre, on lit : « Je ne travaille pas, je n’essaierai pas de vous le cacher. » Évidemment, il ne suffit pas de s’adresser au lecteur pour que celui-ci embarque. Encore faut-il qu’il puisse vraiment prendre place dans la barque, que l’auteur sache ramer et le conduire à bon port, en le faisant voguer sur des eaux où l’on ira de découverte en découverte, et non pas sur une vaste étendue où à perte de vue rien ne se passe. Donc, il y a ici quelqu’un, un narrateur, qui écrit un peu comme on parle, comme on parle à quelqu’un, mais, attention ! il y a parole et parole. Quand un écrivain écrit, il peut parvenir à donner l’illusion de la parole, mais en réalité il écrit. Or, ce Barcelo qui écrit est tout un écrivain. Je parle ici de sa plume, de son style. Qu’on ne s’attende pas à de la haute voltige, à des échafaudages stylistiques d’une grande complexité, à l’utilisation d’un registre sophistiqué qui en met plein la vue. Non, cet auteur s’y prend autrement et l’efficacité qu’il met à raconter est remarquable. Sa phrase toujours s’anime, vivante, pétillante d’esprit, parfois de bottines, sourire en coin, sarcastique. Et l’air de rien, au détour d’une période, un clin d’œil est donné, par la bande l’auteur touche une corde sensible, au bout de laquelle est attachée une question tout aussi sensible, non pas avec un point d’interrogation à la clé, mais relative à des enjeux de société, à des sujets brûlants, à notre monde actuel qui va de mal en pis.
Dire que l’auteur écrit pour faire passer des messages me paraîtrait exagéré. Il est trop malin pour prétendre dire l’heure juste. D’autres écrivent des romans à thèse, pas lui. Pour autant, cela ne fait pas de lui qu’un auteur plaisant. Oui, c’est un auteur plaisant. Il n’y a pas de mal à ça. Je dis qu’il n’est pas que plaisant, bien que son livre soit tout à fait divertissant. C’est que Barcelo est un romancier très comique. Il fait beaucoup rire. Si le divertissement est digne d’intérêt, n’en déplaise à notre ami Blaise Pascal, on doit concéder que le rire l’est tout autant, sinon davantage. Le rire est salutaire, excellent pour la santé, pour la psyché. On aura compris que du rire, il s’en trouve à profusion dans ce roman. Il vient de la langue du narrateur, de sa manière de raconter, mais aussi des aventures qui lui arrivent. Elles sont hilarantes, imprévisibles, loufoques. L’inventivité de l’auteur a de quoi étonner. Vraiment, il est doté d’une époustouflante imagination.
En dévoilant des aspects troubles de nos sociétés, un polar où tout est pris au sérieux offre sans doute matière à réflexion, instruit tout en divertissant. J’ignore si notre romancier a produit dans son œuvre antérieure des romans semblables. Son Homme au bout de la corde séduit non seulement par les actions qu’il met en scène, mais je le répète, par leur drôlerie. On embarque dans les dédales de l’histoire, surpris par la tournure des événements. On se dit que le cinéma pourrait s’emparer de ce récit. Une série télévisée serait souhaitée. Cependant, force est de constater que le passage par l’image laisserait dans l’ombre, abandonnerait malheureusement au silence la voix du narrateur, laquelle compte pour beaucoup dans la qualité de ce roman, car le narrateur y réfléchit beaucoup, s’arrêtant aux curiosités de la langue, commentant des expressions fautives ou ambiguës, et réfléchissant même à l’intérêt que peut représenter pour un criminel des ouvrages consacrés à éclairer tout bon amateur de suspens désireux d’entreprendre lui-même la rédaction d’un roman policier.
On aura remarqué que j’ai négligé de résumer l’action de ce roman, de présenter ses personnages, comme on dit, hauts en couleur. Les lecteurs et les lectrices se plairont à les découvrir.
Il a fallu, hélas ! que le romancier nous quitte pour que j’ouvre son dernier opus. Mais attendez, je n’ai pas lu son dernier mot. Si mon souvenir est bon, un de ses plus vieux romans m’attend quelque part sur une de mes étagères. Si je fais erreur, un saut en librairie ou à la bibliothèque palliera ce manque et me permettra alors de renouer avec le grand art du sublime raconteur d’histoires qu’est François Barcelo.


Chère amie, je suis un peu perdu. Parles-tu des carnets de Major ou du roman de Barcelo ? Les deux sont très différents. Aucun ne te laissera indifférente. Major est un ami, un ami dont nous partageons les travaux et les jours ; Barcelo est un petit malin, il invente une histoire amusante, hilarante.
J’aimeJ’aime