François Barcelo : L’homme au bout de la corde : Roman : Éditions de la Grenouillère : 2025 : 272 pages

Qu’on ne s’attende pas ici à une recension, encore moins à une critique ou, comme j’aime à les appeler, une « petite étude ». On aura plutôt affaire, j’allais dire à une confession, en tout cas à un ensemble de réflexions sur ce que sont la littérature, la lecture et l’écriture. Ces réflexions prendront racine dans l’anecdote, en cela qu’elles seront suscitées par les conjonctures dans lesquelles j’ai été amené à ouvrir pour mon plus grand bonheur le tout dernier roman de l’auteur étonnant qu’est, je ne dis pas que fut François Barcelo.

Certes, L’homme pendu au bout de la corde mériterait amplement une lecture attentive, une étude savante axée sur la « mécanique » de ses rouages narratifs, sa structure, sa composition et donc tout ce qui a trait à la conduite bien menée d’une intrigue policière. On se pencherait sur les techniques utilisées par l’auteur. Utilisées avec brio. D’aucuns parleraient de recettes. Et sourire en coin, afficheraient un certain mépris à l’endroit des précédés employés par le romancier, mépris dont un Barcelo s’il était encore de ce monde n’aurait que faire, car l’homme plus que tout autre savait que pour rédiger un bon roman il ne suffit pas de mélanger un ensemble d’ingrédients, de se montrer docile aux lois du genre.

Évidemment, Barcelo connaissait la musique et savait danser. Il avait fait ses classes à l’école de la lecture et de l’écriture. Mais on a beau dire, le plus consciencieux de tous les élèves aura beau s’user durant cent ans le fond de culotte sur un banc d’école, pour que la magie opère, il ne suffit pas d’avoir plus d’un tour dans son sac. Encore faut-il être doué pour les miracles, avoir dans la cervelle cette petite merveille qu’on appelle le génie. Est-ce un don ? Il me plaît de le croire. Un don que l’acquis au fil du temps accroît. Mais au départ, il faut cette étincelle, ce feu intérieur qui est affaire de passion, de passion pour l’écriture. Le savoir-faire se développe. Il en résulte alors quelque chose comme ce livre. Mais ce n’est pas si simple. J’y reviendrai.

J’ouvrais cette chronique en évoquant les circonstances qui m’ont conduit à entreprendre la lecture de ce roman. Ce sont de tristes circonstances. J’ai fait tout récemment la rencontre de l’auteur. C’était à l’occasion du lancement collectif des ouvrages parus ce printemps aux Éditions de La Grenouillère. Le lancement eut lieu le 20 mars 2025 à l’Atelier-Librairie Le Livre voyageur. Outre François Barcelo, l’événement réunissait quelques auteurs dont Claire Varin, Michel Lord, Ariane Cloutier à qui l’on doit les illustrations de la Marie Réparatrice de l’éditeur Louis-Philippe Hébert, ainsi que moi-même.

À cette occasion, je prenais place à la table des auteurs aux côtés de François Barcelo. Nous échangeâmes quelques paroles. Il présenta son roman, je lus quelques poèmes et les autres s’exécutèrent à leur tour. Ce fut un beau lancement. Mais voilà, la suite a de quoi nous attrister. On apprenait quelques semaines plus tard le décès du romancier. J’annonçais ci-haut des réflexions. Je ne me lancerai pas dans les sables mouvants des grandes questions du genre : qu’est-ce que la littérature ? Cependant, je ne puis m’empêcher de remarquer et d’avouer que, n’eût été le décès de l’auteur, je n’aurais peut-être pas entrepris la lecture de son dernier roman. C’est que, comme tout un chacun, ma table de chevet déborde de livres, notamment de recueils de poésie en attente d’une recension ici ou ailleurs. Du reste, je lis rarement des romans policiers. C’est comme ça.

Mon exemplaire gentiment dédicacé par son auteur aurait sans doute subi le sort que malheureusement connaissent de nombreux livres. On ne les lit pas. Pour qu’ils soient lus, il faut que du bruit les entoure, celui de la publicité entre autres, une présence assidue de l’auteur dans les médias, radio, presse et réseaux sociaux. Le décès de François Barcelo m’a secoué. Ce monsieur quelques semaines plus tôt était assis à mes côtés. Et voilà ! Fini. C’en était fini de sa vie. À mes yeux, cela ne pouvait s’arrêter ainsi. Je devais lire son roman. Je m’en faisais un devoir, histoire de faire revivre l’auteur en ravivant son esprit, en redonnant par la lecture vie à son écriture. Et puis, me disais-je, lire un roman, gratuitement, sans songer à en faire une recension, une analyse, une petite étude, cela très certainement me ferait du bien, me changerait les idées. L’homme au bout de la corde m’attendait. Il allait combler mes attentes.

Autant le dire tout net, ce roman est captivant. Je crains ne pas me montrer à sa hauteur en tentant de justifier ce jugement. Captivant, pourquoi ? En quoi ? Eh bien ! Tout est sans doute ici une question de présence. Dès les premières pages du roman, un personnage est là, vivant, qui s’adresse à nous. À la cinquième ligne du premier chapitre, on lit : « Je ne travaille pas, je n’essaierai pas de vous le cacher. » Évidemment, il ne suffit pas de s’adresser au lecteur pour que celui-ci embarque. Encore faut-il qu’il puisse vraiment prendre place dans la barque, que l’auteur sache ramer et le conduire à bon port, en le faisant voguer sur des eaux où l’on ira de découverte en découverte, et non pas sur une vaste étendue où à perte de vue rien ne se passe.  Donc, il y a ici quelqu’un, un narrateur, qui écrit un peu comme on parle, comme on parle à quelqu’un, mais, attention ! il y a parole et parole. Quand un écrivain écrit, il peut parvenir à donner l’illusion de la parole, mais en réalité il écrit. Or, ce Barcelo qui écrit est tout un écrivain. Je parle ici de sa plume, de son style. Qu’on ne s’attende pas à de la haute voltige, à des échafaudages stylistiques d’une grande complexité, à l’utilisation d’un registre sophistiqué qui en met plein la vue. Non, cet auteur s’y prend autrement et l’efficacité qu’il met à raconter est remarquable. Sa phrase toujours s’anime, vivante, pétillante d’esprit, parfois de bottines, sourire en coin, sarcastique. Et l’air de rien, au détour d’une période, un clin d’œil est donné, par la bande l’auteur touche une corde sensible, au bout de laquelle est attachée une question tout aussi sensible, non pas avec un point d’interrogation à la clé, mais relative à des enjeux de société, à des sujets brûlants, à notre monde actuel qui va de mal en pis.

Dire que l’auteur écrit pour faire passer des messages me paraîtrait exagéré. Il est trop malin pour prétendre dire l’heure juste. D’autres écrivent des romans à thèse, pas lui. Pour autant, cela ne fait pas de lui qu’un auteur plaisant. Oui, c’est un auteur plaisant. Il n’y a pas de mal à ça. Je dis qu’il n’est pas que plaisant, bien que son livre soit tout à fait divertissant. C’est que Barcelo est un romancier très comique. Il fait beaucoup rire. Si le divertissement est digne d’intérêt, n’en déplaise à notre ami Blaise Pascal, on doit concéder que le rire l’est tout autant, sinon davantage. Le rire est salutaire, excellent pour la santé, pour la psyché. On aura compris que du rire, il s’en trouve à profusion dans ce roman. Il vient de la langue du narrateur, de sa manière de raconter, mais aussi des aventures qui lui arrivent. Elles sont hilarantes, imprévisibles, loufoques. L’inventivité de l’auteur a de quoi étonner. Vraiment, il est doté d’une époustouflante imagination.

En dévoilant des aspects troubles de nos sociétés, un polar où tout est pris au sérieux offre sans doute matière à réflexion, instruit tout en divertissant. J’ignore si notre romancier a produit dans son œuvre antérieure des romans semblables. Son Homme au bout de la corde séduit non seulement par les actions qu’il met en scène, mais je le répète, par leur drôlerie. On embarque dans les dédales de l’histoire, surpris par la tournure des événements. On se dit que le cinéma pourrait s’emparer de ce récit. Une série télévisée serait souhaitée. Cependant, force est de constater que le passage par l’image laisserait dans l’ombre, abandonnerait malheureusement au silence la voix du narrateur, laquelle compte pour beaucoup dans la qualité de ce roman, car le narrateur y réfléchit beaucoup, s’arrêtant aux curiosités de la langue, commentant des expressions fautives ou ambiguës, et réfléchissant même à l’intérêt que peut représenter pour un criminel des ouvrages consacrés à éclairer tout bon amateur de suspens désireux d’entreprendre lui-même la rédaction d’un roman policier.

On aura remarqué que j’ai négligé de résumer l’action de ce roman, de présenter ses personnages, comme on dit, hauts en couleur. Les lecteurs et les lectrices se plairont à les découvrir.

Il a fallu, hélas ! que le romancier nous quitte pour que j’ouvre son dernier opus. Mais attendez, je n’ai pas lu son dernier mot. Si mon souvenir est bon, un de ses plus vieux romans m’attend quelque part sur une de mes étagères. Si je fais erreur, un saut en librairie ou à la bibliothèque palliera ce manque et me permettra alors de renouer avec le grand art du sublime raconteur d’histoires qu’est François Barcelo.  

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Auteur : Daniel Guénette

Né le 21 mai 1952, Daniel Guénette est originaire de Montréal. Il a vécu la majeure partie de son existence dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Après des études en lettres à l’Université de Montréal, où il obtient un diplôme de maîtrise en création littéraire, il enseigne la littérature au cégep de Granby. En 2011, il prend sa retraite après 34 années d’enseignement. À l’aube de la soixantaine, il renoue avec l’écriture qu’il avait cessé de pratiquer durant près de vingt ans. Il publie chez Triptyque deux recueils de poésie, Traité de l’Incertain en 2013 et Carmen quadratum en 2016, ainsi qu’un récit, L’École des Chiens, en 2015. Dans son œuvre antérieure alternaient ouvrages de poésie (3 titres au Noroît, 2 chez Triptyque) et productions romanesques (3 titres chez Triptyque). Ces ouvrages furent publiés entre 1985 et 1996. L’ensemble fut bien reçu par la critique. À l’occasion du vingtième anniversaire des éditions Triptyque, feu Réginald Martel écrivait : « Et on soupçonne que bien des éditeurs seraient ravis d’inscrire à leur catalogue, parmi quelques auteurs de Triptyque, le nom d’un Daniel Guénette, par exemple. » J. Desraspes a enchanté Jean-Roch Boivin : « Ce roman est un délicieux apéritif, robuste et délicat, son auteur un écrivain de talent et de grands moyens. » Réginald Martel parle d’un roman « qu’on dévore sans reprendre son souffle » ; il salue également la parution des romans qui suivent, se montrant surtout favorable à L’écharpe d’Iris. Pierre Salducci écrit dans Le Devoir un article élogieux sur ce roman : « L’écharpe d’Iris est une réussite, une petite musique qui nous parle de la nature humaine et qu’on n’arrive pas à oublier. Un roman magnifique, un vrai. Pas un phénomène de mode. Pas un produit branché et périssable. Mais de la littérature. Tout simplement. » L’École des Chiens, qui en 2015 marque le retour de l’auteur au récit, a été commentée par divers blogueurs, dont le poète Jacques Gauthier : « Ce beau récit du poète Daniel Guénette évoque, avec pudeur et humilité, les onze années vécues auprès de Max qu’il a dû faire euthanasier à cause d’un cancer. Ils sont rares de tels livres qui traitent si tendrement de la relation entre un homme et son animal de compagnie. Ça parle de vie et de mort, d’attachement et d’amitié, d’enfance et de solitude. » Pour sa part, Topinambulle écrit : « Dans ce très beau récit, un homme apprivoise doucement le deuil de son chien. À la manière de Rousseau, Daniel Guénette nous invite à le suivre dans ses promenades, dans les méandres de ses souvenirs, où l'évocation de l'ami fidèle nous servira de guide. ». Dominic Tardif, dans Le Devoir, 4 juillet 2015 a rendu compte chaleureusement de L’école des chiens. Il a souligné qu’avec ce récit, l’auteur avait produit « de la vraie littérature » : « Plus qu’un livre sur un maître et son animal, L’école des chiens célèbre le pouvoir de l’écriture qui, chez Daniel Guénette, n’aspire pas à remplacer l’en allé, mais bien à en continuer la vie. » Recommandé avec enthousiasme à ses téléspectateurs, L’école des chiens a fait l’objet d’un échange de cadeaux à l’émission LIRE présentée sur ARTV. À partir de 1975, l’auteur a collaboré à diverses revues de littérature à titre de poète et de critique. On a pu lire ses recensions dans la revue Mœbius. Pour l’une d’elles, l’auteur a été finaliste au Prix d’excellence de la SODEP 2016, dans la catégorie Texte d’opinion critique sur une œuvre littéraire ou artistique. Plus récemment, l’auteur a publié deux nouveaux titres en poésie, Varia au Noroît en 2018 et, à l’hiver 2023, La châtaigneraie aux Éditions de la Grenouillère. Pour ce recueil, le poète a été finaliste au Prix d’excellence du webmagazine La Métropole. Dans la recension que réserve à cet ouvrage la revue LQ, le critique Antoine Boisclair écrit: « Ce recueil émouvant, très maîtrisé du point de vue formel, témoigne d’un savoir-faire indéniable. » Le critique et poète français Pierre Perrin écrit dans sa revue trimestrielle de littérature, la revue française « Possibles », ne pas confondre avec la revue québécoise du même nom : « Daniel Guénette a le vers sûr, souvent proche de l’alexandrin, parfois très bref. Il sait restituer une vie, avec sa foudre, ses éclairs, et les moments de calme, voire de communion. La Châtaigneraie constitue un beau recueil presque filial. » Pour sa part, dans Le Ou'tam’si magazine, Nathasha Pemba déclare que « La châtaigneraie est un recueil de poésie qui a l’allure d’un hommage, d’un renouvellement du contrat amical. C’est une poésie ontologique qui va au fond des choses pour faire émerger l’être. Daniel Guénette une fois plus confirme qu’il est poète, le poète de l’amitié, le poète de l’altérité, le poète de l’éternité. » Outre ces recueils de poésie, l’auteur fait paraître quelques nouveaux romans. De Miron, Breton et le mythomane, paru en 2017 à La Grenouillère, Dominic Tardif écrit dans Le Devoir : « Chronique des glorioles imaginaires d’un grand taquin aimant (se) conter des histoires et fabuler une légendaire vie d’aventures, Miron, Breton et le mythomane est le carton d’invitation d’une fête organisée en l’honneur du mensonge auquel s’abreuve n’importe quelle forme de littérature digne de ce nom. » Pour sa part, Dédé blanc-bec reçoit dans Nuit Blanche un commentaire signé Gaétan Bélanger : « Le ton poétique empreint d’humour et de nostalgie adopté par l’auteur rend extrêmement agréable la lecture de ce roman émouvant. Il faut préciser que, tout d’abord, il est un peu déroutant de suivre les bonds fréquents de la narration dans le temps. Plus que de simples digressions, elles donnent parfois l’impression que l’auteur saute du coq à l’âne pour revenir aux mêmes événements, observés sous un angle différent. Mais on s’habitue vite à cette manière ou à ce style et on l’apprécie pour son originalité. Voilà donc un roman au texte minutieusement poli et se démarquant par sa qualité et son audace. » Vierge folle est le dernier roman de l’auteur. La recension parue dans Culture Hebdo se termine avec ces mots : « Nous vous laissons le soin de découvrir la conclusion. Excellent, est un euphémisme. On a adoré. » Ce roman, sans doute le meilleur de l’auteur, s’il a suscité l’enthousiasme de ses lecteurs n’a guère fait l’objet de recensions sérieuses. Pour des recensions sérieuses, il aura fallu attendre l’hiver 2023. Au billet d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie, se sera ajoutée dans Le Devoir une chronique de Louis Cornellier consacrée non pas à un roman ou un recueil, mais à un essai. Le journaliste y salue d’abord le travail entrepris par l’écrivain sur son blogue : « Fin lecteur de poésie, l’écrivain s’y impose comme un critique raffiné, érudit et amical dont le style, limpide et élégant, s’apparente à celui de la conversation relevée. Ces qualités en font une rareté dans le paysage littéraire québécois. » Puis, il rend compte de l’essai : « Dans Le complexe d’Orphée (Nota bene, 2023, 186 pages), l’écrivain se fait plus essayiste que critique en proposant « une manière de promenade » dans laquelle il tente « de saisir la nature de la poésie ». Fidèle à son approche modeste et exploratoire, il déambule en compagnie des poètes et penseurs qu’il aime afin de délimiter son objet, tout en cultivant le souci de ne pas l’enfermer. » Il conclut sa chronique en ces termes : « Partisan des « poèmes limpides » qui disent de « simples vérités », Guénette trouve dans la poésie un antidote « à l’endormissement de [ses] facultés » ou, comme l’écrit Valéry, un discours « chargé de plus de sens, et mêlé de plus de musique, que le langage ordinaire n’en porte et n’en peut porter ». Fénelon aurait aimé ce livre admirable. » La conclusion de l’article d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie était elle aussi plutôt réjouissante : « Romancier accompli (son dernier récit, Vierge folle, est paru en 2021 aux éditions de La Grenouillère), critique littéraire important (son blogue, intitulé Dédé blanc-bec, offre des comptes rendus très étoffés sur des publications québécoises), Daniel Guénette est aussi un poète qui mérite toute notre attention. »

3 réflexions sur « François Barcelo : L’homme au bout de la corde : Roman : Éditions de la Grenouillère : 2025 : 272 pages »

    1. Chère amie, je suis un peu perdu. Parles-tu des carnets de Major ou du roman de Barcelo ? Les deux sont très différents. Aucun ne te laissera indifférente. Major est un ami, un ami dont nous partageons les travaux et les jours ; Barcelo est un petit malin, il invente une histoire amusante, hilarante.

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