Joël Pourbaix : NOUS SOMMES OISEAUX : Poésie : Éditions du passage : 2023 : 110 pages

Montréal que tant de ponts relient au reste du monde est une île. On a tendance à l’oublier, tout comme on néglige les beautés que recèlent ses rives, et tout particulièrement au nord, celles que le poète nous fait découvrir. Son dernier ouvrage relate ses promenades à pied le long de la rivière des Prairies alors qu’il déambule sur le boulevard Gouin.

Le poète divise son recueil en six parties. Elles correspondent aux six jours qui lui sont nécessaires pour réaliser son trajet. Un Montréalais que les rêveries portent plus loin en aval sur le Saint-Laurent, qui ne voit de splendeurs que lorsque le fleuve s’évase dans l’estuaire, se montrera d’abord sceptique. Quels charmes, se demandera-t-il, l’auteur a-t-il bien pu trouver à des rives que la ville étouffe ?

Ces charmes seraient inexistants que la poésie de Pourbaix suffirait à en susciter. En effet, l’écriture manifeste ici de remarquables qualités de sobriété et de raffinement. Elle fait montre d’une grande maîtrise ; sa rythmique est soignée ; ses figures, justes et pertinentes, ajoutent à la clarté d’un propos riche et éclairant.

Parcourir le boulevard Gouin offre au poète l’occasion de revenir sur l’histoire de l’île de Montréal, d’explorer sa géographie. Existe-t-il une grande différence entre le touriste et le poète ? Les deux s’arrêtent devant les mêmes monuments, lisent les mêmes plaques commémoratives, admirent d’une égale manière les reflets sur les eaux de la rivière et le mouvement des feuillages dans les grands arbres. Certes, une curiosité semblable les anime. Mais l’attention et les distractions du flâneur entraînent ce dernier sur des sentiers de traverse. Il s’introduit dans les interstices de l’espace et du temps. « Un trou dans la clôture côté ouest exerce une attraction irrésistible, je pénètre un terrain en friche en bordure du rivage, le site presque mythique de Fort-Lorette. »

Si, en lisant Nous sommes oiseaux, nous glanons des informations distillées également dans les livres d’histoire et la documentation offerte au grand public par l’Office du tourisme de Montréal, la lecture du recueil offre de considérables suppléments, l’auteur ayant le don d’insuffler de la vie dans ce que l’on pourrait appeler ses reportages poétiques. Il vibre en contemplant le monde qui l’entoure. Il fait des rencontres marquantes du type que « la lecture des affichettes du circuit patrimonial » ne saurait évoquer. Ce seront celles, par exemple, d’Orphée et de Hécate, personnages énigmatiques et hautement colorés qui ajoutent à la poésie de ses récits. Il croise la misère, celle d’un itinérant à qui il ne peut offrir qu’un sourire.

Un des traits principaux de ce recueil réside dans sa profonde humanité. Je détourne ici les mots du poète pour les appliquer à son propre ouvrage, lequel est animé par l’« intelligence du cœur ». Pourbaix est un homme attentif aux autres, à ses contemporains, également aux disparus. Chez lui, « l’absence enfante la présence ». Il « rêve Gouin avant Gouin, le chemin plutôt que le boulevard, l’odeur des trottoirs de bois ». Il évoque le pont des Saints-Anges, « démoli en 1874, ouvrage désormais imaginaire ». Il chérit les terrains vagues, « il avance dans l’impermanence / vers les rives d’un clair visage ». Tout au long du parcours, son œil n’oblitère pas pour autant les laideurs qui défigurent le paysage urbain. Mais il se plaît à redessiner des espaces disparus, à découvrir leurs traces et leurs vestiges, à reconstituer le visage ancien qu’offrait naguère la souriante campagne du chemin Gouin.

Il y a des livres que l’on souhaiterait avoir écrits. Celui-ci est l’un d’eux. Mais peu d’auteurs seraient en mesure d’en produire de semblables. Nous sommes oiseaux fait bande à part. Il s’agit d’une perle rare.

Mais, me direz-vous, les oiseaux dans tout ça ? En lisant le recueil, vous découvrirez vous-mêmes leurs battements d’ailes. Tendez bien l’oreille, vous entendrez leur délicieux ramage.

Recension publiée le 19 octobre, 2023 dans le numéro 172 du Magazine Nuit blanche

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Auteur : Daniel Guénette

Né le 21 mai 1952, Daniel Guénette est originaire de Montréal. Il a vécu la majeure partie de son existence dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Après des études en lettres à l’Université de Montréal, où il obtient un diplôme de maîtrise en création littéraire, il enseigne la littérature au cégep de Granby. En 2011, il prend sa retraite après 34 années d’enseignement. À l’aube de la soixantaine, il renoue avec l’écriture qu’il avait cessé de pratiquer durant près de vingt ans. Il publie chez Triptyque deux recueils de poésie, Traité de l’Incertain en 2013 et Carmen quadratum en 2016, ainsi qu’un récit, L’École des Chiens, en 2015. Dans son œuvre antérieure alternaient ouvrages de poésie (3 titres au Noroît, 2 chez Triptyque) et productions romanesques (3 titres chez Triptyque). Ces ouvrages furent publiés entre 1985 et 1996. L’ensemble fut bien reçu par la critique. À l’occasion du vingtième anniversaire des éditions Triptyque, feu Réginald Martel écrivait : « Et on soupçonne que bien des éditeurs seraient ravis d’inscrire à leur catalogue, parmi quelques auteurs de Triptyque, le nom d’un Daniel Guénette, par exemple. » J. Desraspes a enchanté Jean-Roch Boivin : « Ce roman est un délicieux apéritif, robuste et délicat, son auteur un écrivain de talent et de grands moyens. » Réginald Martel parle d’un roman « qu’on dévore sans reprendre son souffle » ; il salue également la parution des romans qui suivent, se montrant surtout favorable à L’écharpe d’Iris. Pierre Salducci écrit dans Le Devoir un article élogieux sur ce roman : « L’écharpe d’Iris est une réussite, une petite musique qui nous parle de la nature humaine et qu’on n’arrive pas à oublier. Un roman magnifique, un vrai. Pas un phénomène de mode. Pas un produit branché et périssable. Mais de la littérature. Tout simplement. » L’École des Chiens, qui en 2015 marque le retour de l’auteur au récit, a été commentée par divers blogueurs, dont le poète Jacques Gauthier : « Ce beau récit du poète Daniel Guénette évoque, avec pudeur et humilité, les onze années vécues auprès de Max qu’il a dû faire euthanasier à cause d’un cancer. Ils sont rares de tels livres qui traitent si tendrement de la relation entre un homme et son animal de compagnie. Ça parle de vie et de mort, d’attachement et d’amitié, d’enfance et de solitude. » Pour sa part, Topinambulle écrit : « Dans ce très beau récit, un homme apprivoise doucement le deuil de son chien. À la manière de Rousseau, Daniel Guénette nous invite à le suivre dans ses promenades, dans les méandres de ses souvenirs, où l'évocation de l'ami fidèle nous servira de guide. ». Dominic Tardif, dans Le Devoir, 4 juillet 2015 a rendu compte chaleureusement de L’école des chiens. Il a souligné qu’avec ce récit, l’auteur avait produit « de la vraie littérature » : « Plus qu’un livre sur un maître et son animal, L’école des chiens célèbre le pouvoir de l’écriture qui, chez Daniel Guénette, n’aspire pas à remplacer l’en allé, mais bien à en continuer la vie. » Recommandé avec enthousiasme à ses téléspectateurs, L’école des chiens a fait l’objet d’un échange de cadeaux à l’émission LIRE présentée sur ARTV. À partir de 1975, l’auteur a collaboré à diverses revues de littérature à titre de poète et de critique. On a pu lire ses recensions dans la revue Mœbius. Pour l’une d’elles, l’auteur a été finaliste au Prix d’excellence de la SODEP 2016, dans la catégorie Texte d’opinion critique sur une œuvre littéraire ou artistique. Plus récemment, l’auteur a publié deux nouveaux titres en poésie, Varia au Noroît en 2018 et, à l’hiver 2023, La châtaigneraie aux Éditions de la Grenouillère. Pour ce recueil, le poète a été finaliste au Prix d’excellence du webmagazine La Métropole. Dans la recension que réserve à cet ouvrage la revue LQ, le critique Antoine Boisclair écrit: « Ce recueil émouvant, très maîtrisé du point de vue formel, témoigne d’un savoir-faire indéniable. » Le critique et poète français Pierre Perrin écrit dans sa revue trimestrielle de littérature, la revue française « Possibles », ne pas confondre avec la revue québécoise du même nom : « Daniel Guénette a le vers sûr, souvent proche de l’alexandrin, parfois très bref. Il sait restituer une vie, avec sa foudre, ses éclairs, et les moments de calme, voire de communion. La Châtaigneraie constitue un beau recueil presque filial. » Pour sa part, dans Le Ou'tam’si magazine, Nathasha Pemba déclare que « La châtaigneraie est un recueil de poésie qui a l’allure d’un hommage, d’un renouvellement du contrat amical. C’est une poésie ontologique qui va au fond des choses pour faire émerger l’être. Daniel Guénette une fois plus confirme qu’il est poète, le poète de l’amitié, le poète de l’altérité, le poète de l’éternité. » Outre ces recueils de poésie, l’auteur fait paraître quelques nouveaux romans. De Miron, Breton et le mythomane, paru en 2017 à La Grenouillère, Dominic Tardif écrit dans Le Devoir : « Chronique des glorioles imaginaires d’un grand taquin aimant (se) conter des histoires et fabuler une légendaire vie d’aventures, Miron, Breton et le mythomane est le carton d’invitation d’une fête organisée en l’honneur du mensonge auquel s’abreuve n’importe quelle forme de littérature digne de ce nom. » Pour sa part, Dédé blanc-bec reçoit dans Nuit Blanche un commentaire signé Gaétan Bélanger : « Le ton poétique empreint d’humour et de nostalgie adopté par l’auteur rend extrêmement agréable la lecture de ce roman émouvant. Il faut préciser que, tout d’abord, il est un peu déroutant de suivre les bonds fréquents de la narration dans le temps. Plus que de simples digressions, elles donnent parfois l’impression que l’auteur saute du coq à l’âne pour revenir aux mêmes événements, observés sous un angle différent. Mais on s’habitue vite à cette manière ou à ce style et on l’apprécie pour son originalité. Voilà donc un roman au texte minutieusement poli et se démarquant par sa qualité et son audace. » Vierge folle est le dernier roman de l’auteur. La recension parue dans Culture Hebdo se termine avec ces mots : « Nous vous laissons le soin de découvrir la conclusion. Excellent, est un euphémisme. On a adoré. » Ce roman, sans doute le meilleur de l’auteur, s’il a suscité l’enthousiasme de ses lecteurs n’a guère fait l’objet de recensions sérieuses. Pour des recensions sérieuses, il aura fallu attendre l’hiver 2023. Au billet d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie, se sera ajoutée dans Le Devoir une chronique de Louis Cornellier consacrée non pas à un roman ou un recueil, mais à un essai. Le journaliste y salue d’abord le travail entrepris par l’écrivain sur son blogue : « Fin lecteur de poésie, l’écrivain s’y impose comme un critique raffiné, érudit et amical dont le style, limpide et élégant, s’apparente à celui de la conversation relevée. Ces qualités en font une rareté dans le paysage littéraire québécois. » Puis, il rend compte de l’essai : « Dans Le complexe d’Orphée (Nota bene, 2023, 186 pages), l’écrivain se fait plus essayiste que critique en proposant « une manière de promenade » dans laquelle il tente « de saisir la nature de la poésie ». Fidèle à son approche modeste et exploratoire, il déambule en compagnie des poètes et penseurs qu’il aime afin de délimiter son objet, tout en cultivant le souci de ne pas l’enfermer. » Il conclut sa chronique en ces termes : « Partisan des « poèmes limpides » qui disent de « simples vérités », Guénette trouve dans la poésie un antidote « à l’endormissement de [ses] facultés » ou, comme l’écrit Valéry, un discours « chargé de plus de sens, et mêlé de plus de musique, que le langage ordinaire n’en porte et n’en peut porter ». Fénelon aurait aimé ce livre admirable. » La conclusion de l’article d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie était elle aussi plutôt réjouissante : « Romancier accompli (son dernier récit, Vierge folle, est paru en 2021 aux éditions de La Grenouillère), critique littéraire important (son blogue, intitulé Dédé blanc-bec, offre des comptes rendus très étoffés sur des publications québécoises), Daniel Guénette est aussi un poète qui mérite toute notre attention. »

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