
On trouvera l’article que j’ai consacré à Azimut dans la revue Possibles (V.47. N.01 — ÉTÉ 2023). Ce texte est accessible gratuitement et en tout temps sur le site de la revue : https://revuepossibles.ojs.umontreal.ca/
Il ne s’agit pas ici d’en reproduire l’intégralité, mais bien plutôt de présenter en substance le commentaire que j’entendais consacrer au recueil de Patrick Coppens à l’occasion du lancement de la revue qui eut lieu le 24 octobre dernier, ce commentaire ayant dû être amputé du tiers faute de temps.
Après avoir mentionné que Patrick Coppens est présent dans notre paysage littéraire depuis plus de soixante ans et souligné son importance à titre de responsable des littératures et de la linguistique à la Centrale des bibliothèques du Québec, ainsi que son rôle dans la création de la Société littéraire de Laval, j’ai insisté dans ma présentation sur le fait que malgré cette feuille de route impressionnante, Patrick Coppens est, pour nous, d’abord et avant tout un poète singulier. À dire vrai, Coppens est un poète sérieux qui adore s’amuser, qui se plaît à amuser ses lecteurs. Dès la parution de son Ludictionnaire, en 1982, il donnait la mesure de sa fascination pour le jeu, notamment les jeux de mots, les mots d’esprit.
J’emprunte ici légèrement à mon article. Je reprends l’idée voulant que la forme brève ne mente pas. C’est qu’une banalité proférée en peu de mots saute aux yeux. La nudité chétive d’une parole creuse révèle alors une profonde incurie de sentiment ou d’idée. En effet, un aphorisme qui tourne à vide tombe à plat. Or Coppens évite ce genre d’écueils. Il grave dans la pierre une parole dont la portée est en quelque sorte pérenne. C’est là un tour de force.
Je découvre chez Bernard Lévy, l’éditeur-préfacier du recueil, ce qui me paraît être une « règle de lecture ». Il écrit : « Ainsi, au fil des pages, surgissent des images fugaces. Parfois fulgurantes. Difficiles à retenir. Elles filent. À moins de les laisser filer, elles forcent le lecteur à s’arrêter. À relire. À revenir sur ses pas. À interrompre son élan. Une fois, deux fois. Encore. Toujours. » On aura compris qu’il faut lire lentement. Ce que confirme le poète lui-même.
lecture hâtive
œil en coulisse
beauté bâclé
La lecture lente démultiplie le pouvoir des mots. Avec la complicité du lecteur, la magie de la parole à l’œuvre dans Azimut peut opérer pour peu qu’on lise « activement ». Cette parole nous fait découvrir notre monde à travers le prisme d’un art venu d’Asie. Coppens a d’excellents yeux. Ce sont des yeux amoureux. Des yeux qui ne se ferment pas devant les désastres du monde et les exactions qui s’y perpétuent. Les poèmes suivants montrent bien qu’il n’élude pas la dure réalité de notre monde.
on écoute l’historien
et les morts s’étriper
le printemps n’y peut rien
*
des paradis
qui exigent ta mort
méfie-toi
Je revenais dans ma présentation à la méfiance dont témoigne la pensée d’Yves Bonnefoy à l’endroit de la conceptualisation en poésie. Il observait chez Buson « une certitude de la conscience immédiate, sans arrière-pensée spéculative ». On peut penser ici à une forme d’illumination. En recourant aux mots, pour peu qu’ils ne soient pas travaillés par la conceptualisation, le poète accéderait à ce que Bonnefoy et tant d’autres désignent (c’est là un paradoxe) au moyen du concept de « présence ».
Dans mon petit laïus, je ne suis pas aventuré sur ce point des plus complexes. Si certains poèmes de Coppens répondent au vœu cher de Bonnefoy, à savoir la production d’œuvres poétiques éloignées de préoccupations « rationnelles », mais bien plutôt ouvertes à ce que l’on nomme l’ « ouvert », quelques poèmes du recueil de Coppens et la quatrième de couverture de l’ouvrage donnent à voir « un poète qui ne se contente pas de décrire dans son surgissement l’apparition du petit événement que serait, par exemple, un peu de brise venue rider la surface de l’étang. » Je viens de citer un passage de l’article publié dans Possibles.
En témoignent les deux petits poèmes suivants.
vanneur de vent
prêcheur de lune
moine ou soldat
identique mal de dents
*
lire sur l’eau
lotus de sang
innocence du bourreau
Comme il est impossible de lire un long article dans un événement dont le but est de présenter des résumés du contenu d’un ouvrage collectif, j’avais songé à rendre la parole au texte, à puiser dans le recueil de Coppens des morceaux afin de constituer un florilège représentatif de l’ensemble. Je me suis vite aperçu de la trop grande quantité des morceaux que je trouvais significatifs ou tout simplement très beaux. J’ai dû abandonner à leur jardin initial de très nombreuses fleurs. J’en ai néanmoins conservé quelques-unes que j’ai regroupées en tenant compte des traits les plus marqués du recueil. J’ai lu certains des petits textes qui suivent.
POÉSIE
parcourir le pays
du paradis perdu
au monde à retrouver
chemin de poésie
J’ai suggéré à l’auditoire de méditer au propos de ce poème. Je n’ai pas mentionné ce qui suit. À mon sens, on retrouve ici une idée que ne renierait pas un Bonnefoy ou un Fernand Ouellette. La poésie offrirait l’occasion de renouer avec la préconscience propre au moment d’enfance. Souvent dans ses ouvrages poétiques, Ouellette évoque ce désir de retour, de retrouvailles. Quelque chose de précieux a été égaré au sortir de l’enfance. Le poème constituerait une manière de voie royale conduisant à cet état de conscience nouveau qui ravive la lumière perdue de l’enfance. Il me semble que Coppens formule à sa manière une préoccupation similaire.
NATURE
Dans de nombreux poèmes, le poète aborde les phénomènes naturels.
il fait encore nuit dans l’arbre
mais le plus bel oiseau
a déjà gazouillé
*
sur le balcon
le pot fleurit
d’un seul chardon
qui se prend pour un astre
*
une seule fleur
et j’oublie
que le vase est fêlé
HUMOUR
J’évoque l’humour de Coppens dans mon article et je n’ai pas omis de le faire à l’occasion du lancement de la revue.
à l’approche de la ronde
des enfants
la statue retient
sa feuille de vigne
Voilà qui me semble bien pudique. Mais, question d’humour, Coppens peut parfois se montrer grivois. Dans le poème suivant, on voit un jeune homme éprouver quelque gêne à voir soudainement son petit bout de bambou croître démesurément.
cache-cache
dans la bambouseraie
un peu intimidé
le fiancé bande
SENSUALITÉ
Mes relectures du recueil, alors que mon article avait été rédigé depuis quelque temps déjà, m’ont permis de réaliser que Coppens rend hommage à la vie, à la beauté, à l’amour. Un personnage féminin traverse son recueil. Je ne crois pas en avoir parlé dans mon article. Il s’agit d’Enjo. On rencontrera cette femme dans Azimut. Mais voyez plutôt. Est-moi qui suis trop sensible. Il me semble que les poèmes que je cite sous cette rubrique démontrent de la part de Coppens une manière de sensualité impressionniste.
printemps des gorges
fleurs mouvantes du kimono
l’amour à cueillir
Ces fleurs mouvantes sont ravissantes, je dirais même émouvantes de tendresse et de douce sensualité amoureuse.
regards de l’éventail
paravent des parfums
l’amour des femmes
MICRO-RÉCITS
En très peu de mots, Coppens fait tenir de prégnantes histoires, toute douleur contenue.
tu dors
avec la tache de vin
sur la lettre froissée
cent fois relue
*
soir de la vie
dans le jardin
une femme revient
*
attendre
derrière son regard
le remous des sentiments
Qui, à qui, écrit une telle lettre ? Le vin répandu comme une tache de sang. La solitude dans un lit. Et cette femme, on imagine qu’elle revient de loin, que du temps, celui de toute une vie, a passé. Puis, dans le silence, attendre l’écho de son propre silence ou de ses aveux, faute ou déclaration d’amour.
Ce sont là des fragments de notre monde. Des moments de nos propres histoires. Certes, l’Asie les colore, mais à coup sûr, l’on s’y reconnaît.
L’IMPORTANCE DU PROPOS
Coppens qui souvent dans ses ouvrages nous aura fait sourire n’est pas du genre à parler pour ne rien dire. Ses petits poèmes sont loin d’être insignifiants.
le silence qui me glace
m’a renvoyé l’image
d’un monde à déserter
*
le vent du soir
tourne les pages
des pensées qui s’égarent
*
de toutes les guérisons
mourir peut sembler sage
mais vivre a ses raisons
*
il regarde où il marche
sans savoir où il va
prudence de l’égaré
*
à force de rester
derrière sa fenêtre
il s’est perdu de vue
On voit rarement s’allier une telle gravité de sens à autant de légèreté de forme. Si en principe le kaïku et les types de poésie qui s’en inspirent ne pèsent pas lourd sur une légère feuille de papier, ils peuvent en revanche être porteurs de beaucoup de sens. Les poèmes de Coppens en témoignent …
et tout particulièrement le dernier poème du recueil. Ce petit texte donne des frissons.
l’hiver s’isole
immobile est la flamme
au fond de ton regard

Très bel article sur l’ami Patrick, merci Daniel. Tu me diras si tu me permets de le reprendre.
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Ces choses sont faites pour être partagées. Tu peux donc reprendre cet article. C’est un bien commun.
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Un article très intéressant, qui donne le goût de découvrir cet écrivain/poète.
Vraiment bravo à vous et félicitations à l’auteur, car les quelques extraits cités m’ont beaucoup plu.
À quel endroit peut-on se le procurer!
Merci d’avance!
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À l’adresse suivante, on pourra vous donner les informations demandées : simonjuiller5@gmail.com __ Je crois que cette adresse permet de contacter l’éditeur. Il se nomme Bernard Lévy. Sa maison se nomme Éditions du Prisme Droit. Merci pour vos bons mots.
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Merci beaucoup pour votre réponse rapide! C’est très gentil à vous!
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Bonjour Daniel,
c’est une heureuse découverte que ce poète que je ne connaissais pas.
J’ai lu et relu les extraits que vous donnez de son recueil et certains poèmes semblent faire appel à des aphorismes et d’autres à des sentiments plus personnels.
Les derniers que vous citez me parlent tout particulièrement, mon âge n’étant qu’à 7 ans du sien. Le vent du soir, entre autres, où les pensées s’égarent et puis cette femme qui revient… la mère, ou les premières amours?
J’ai songé à ce film de Marker, La Jetée, où le personnage principal retrouve une femme de son passé d’enfant et le regard qu’elle lui jette en clignant des yeux, tout le film étant en images fixes, sauf ce passage. Quand je l’ai revu voici une quinzaine d’années j’y ai vu une illustration du complexe d’Oedipe.
Il a l’art d’exprimer le monde et le sien en peu de mots qui frappent avec justesse
et la pensée et les émotions du lecteur.
Sa musique, je suis d’accord avec vous, est empreinte d’une douce sensualité,
mais aussi d’une conscience que les choses sont éphémères. Comme me le disait un de mes vieux amis…il faut toute une vie pour écrire cela.
Et merci du renseignement où trouver Azimut. Je n’ai rien trouvé en cherchant un peu partout sur la toile.
François Breton
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Merci, François, pour cette collaboration. Je ne connais pas le film dont vous parlez. Vous pourrez trouver des renseignement sur les œuvres de Coppens en vous adressant à Christophe Condello. Allez visiter son blogue. christophecondello.wordpress.com
J’imagine que certains des recueils de P.C. se trouvent en bibliothèque. Bonne chance !
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Belle découverte pour moi.
Ces haïkus sont comme des ressorts qu’une lecture lente déclenche!
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Très bien dit, Laurent : « des ressorts qu’une lecture lente déclenche ! » Je vais te citer dans une de mes prochaines recensions. Je m’apprête à commenter un excellent recueil de haïkus. Eh oui ! Je te citerai.
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Quel honneur!
C’est l’image qui m’est venue après avoir lu et relu ton texte.
Mon retour au monde de la poésie est tributaire de la mise en pratique de tes réflexions sur la nécessaire collaboration entre l’auteur et le lecteur. Je travaille fort!!!
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